LEurope
et lAmérique sont aujourdhui plus que jamais
liées par leurs intérêts communs, leur culture,
leur économie ainsi que par les nouvelles formes de communication.
Cette proximité toujours plus étroite ouvre de nouvelles
perspectives, mais génère également de nouveaux
points de friction, conséquences inévitables du succès
de lalliance transatlantique.
Au cours de
la dernière décennie, lEurope comme les États-Unis
ont connu dimportants changements, et leurs positions respectives
au sein de la constellation internationale se sont également
modifiées. Les États-Unis sont à présent
la seule puissance mondiale, et pour la première fois dans
lhistoire ils nont pas dadversaire à leur
mesure. Ils sont le seul État au monde à avoir les
moyens d'une projection de force dans le monde entier. Leur économie
est la plus performante de la planète. Seuls les États-Unis
sont en mesure dimposer au monde entier leurs normes (on la
vu tout récemment dans le cas dInternet). Le vieux
sentiment de supériorité culturelle qui persiste encore
chez de nombreux Européens a depuis longtemps perdu toute
justification. Il ny a pas que dans la culture de masse que
les États-Unis ont imposé au reste du monde leurs
critères ; dans le domaine de lenseignement et de la
recherche, au cinéma ou dans lart moderne ils occupent
également une position dominante. Leur rôle à
léchelle mondiale se fonde sur une synthèse
unique dans lhistoire entre puissance économique, domination
intellectuelle et culturelle et supériorité militaire.
Les Américains sont aujourdhui plus que jamais persuadés
quil ny a aucune raison pour que dautres queux
fixent les règles du jeu à léchelle mondiale.
Mais lEurope
aussi a changé. Elle est en train de se muer en acteur de
la scène politique mondiale qui parle dune seule voix
et qui, tout en demeurant certes moins puissant que les États-Unis,
surtout sur le plan militaire, possède néanmoins le
potentiel économique, commercial et monétaire nécessaire
pour traiter dégal à égal avec eux. De
façon analogue à ce qui se passe aux États-Unis,
les Européens, en se concentrant sur leur politique intérieure
ou européenne (intégration et élargissement
de lUnion Européenne), en viennent dans une certaine
mesure à faire passer à larrière-plan
les problèmes internationaux pour privilégier de plus
en plus leur point de vue dans la politique extérieure de
lEurope.
Lentrée
dans lUnion Européenne de la Suède, la Finlande
et lAutriche ainsi que du territoire de lex-RDA, de
même que louverture de négociations avec treize
autres candidats à ladhésion auront pour conséquence
que lUnion Européenne sera en droit de parler au nom
de lEurope tout entière, à lexclusion
des membres européens de la Communauté des États
Indépendants (CEI). Lapprofondissement de lintégration,
entre autres par la prise en compte de nouveaux domaines politiques,
et lextension des votes à la majorité ont renforcé
la capacité daction à lintérieur
de lUnion Européenne. Le marché unique de 1993
et lintroduction de leuro en 1999 ont fait de lEurope
un partenaire qui au-delà de la simple légitimité
théorique possède dores et déjà
en pratique une puissance à peu près équivalente
à celle des États-Unis en matière économique
et monétaire et peut donc sans complexes saffirmer
comme leur égal.
Dans le domaine
de la Politique étrangère et de sécurité
commune (PESC) ainsi que de la Politique Européenne de Sécurité
et de Défense (PESD) en revanche une telle évolution
ne sera pas envisageable dans les temps prochains. Cependant les
progrès réalisés ces dernières années
dans ce domaine aussi ont contribué à rendre les processus
décisionnels européens plus rationnels et plus efficaces.
La volonté affichée des Européens davancer
dans ce domaine a été la conséquence nécessaire
de la douloureuse prise de conscience, lors des interventions militaires
en Bosnie et au Kosovo, de la faiblesse européenne qui sest
alors manifestée au grand jour. Mais elle est également
dans la logique du processus dunification de lEurope.
Par le traité
d'Amsterdam et les résolutions de Cologne et d'Helsinki,
l'Union Européenne a gagné en autonomie dans le domaine
de la sécurité collective. Si cela a été
possible, cest que dune part les crises balkaniques
ont démontré quune politique commune de sécurité
devenait nécessaire au-delà des missions de défense
collective couvertes par lOTAN, et dautre part que dans
lUnion Européenne les pays neutres ont révisé
leurs conceptions en matière de politique de sécurité
de façon à pouvoir contribuer aux "missions de Petersberg"
de lUE.
Au sein de
lEurope, les conceptions de lAllemagne et son rôle
ont également évolué. Aujourdhui lAllemagne
réunifiée est entourée de pays amis et ne craint
plus de menace extérieure. Ses forces armées ont été
radicalement réduites, les troupes étrangères
stationnées sur son sol ont été retirées
totalement ou dans une très large partie. Jusqu'à
nouvel ordre, lAllemagne na plus besoin du partenariat
transatlantique pour se défendre contre des menaces extérieures
comme cétait le cas auparavant. En revanche, elle en
a besoin pour assurer, en collaboration avec les États-Unis,
la démocratie, la stabilité et la prospérité
économique dans toute lEurope, y compris au-delà
des frontières actuelles de lOTAN et de lUE.
Autrement dit, lAllemagne nest plus demandeuse, mais
source de sécurité et de stabilité en Europe.
Intérêts
réciproques
Malgré
léclatante disproportion des pouvoirs, les États-Unis
ont eux aussi besoin de partenaires et dalliés internationaux
pour imposer leurs intérêts et leurs valeurs et résoudre
les problèmes existants dans le sens de leurs intérêts.
Cela nest possible pour eux quen collaboration avec
lEurope. Les valeurs et intérêts issus de leurs
racines communes unissent lEurope et lAmérique
plus étroitement que toutes autres régions du monde.
Aucune autre alliance stratégique ne peut se substituer pour
les États-Unis au partenariat transatlantique.
Lobjectif
premier des États-Unis est dendiguer à travers
le monde les risques en matière de sécurité
au sens large du terme, en particulier par une coopération
visant à empêcher la propagation des armes de destruction
de masse et des systèmes de lancement nucléaires,
mais aussi dans dautres domaines tels que la défense
de lenvironnement, la lutte contre le terrorisme international
ou le trafic organisé de la drogue. Les États-Unis
ont de plus intérêt à garantir la stabilité
régionale et à soutenir les structures démocratiques,
que ce soit dans les Balkans, dans les États de la CEI ou
au Proche-Orient, et à contenir les "États-voyous"
("rogue states"), comme les appellent les États-Unis, à
établir enfin dans le monde entier léconomie
de marché et la liberté du commerce. Et, sur le plan
des valeurs, les États-Unis ont pour objectif luniversalisation
de leurs conceptions de la liberté personnelle, de la démocratie
et des droits de lhomme.
De bons rapports
avec lAmérique, y compris une présence
à demeure des États-Unis en Europe sont aussi
dans lintérêt des Européens, des Allemands
en particulier. Les États-Unis conserveront jusquà
nouvel ordre leur suprématie dans le domaine de la sécurité,
même si la PESD savère un succès. LAllemagne
est favorable au renforcement de lUE en matière de
politique de sécurité et de défense, non pour
la détacher du partenariat avec les États-Unis, mais
pour quelle puisse continuer à jouer son rôle
au sein de ce partenariat. En matière de défense collective
- laquelle demeure au cur de lOTAN et de lengagement
américain en Europe - il ne subsiste plus aujourdhui
que la nécessité de se prémunir contre un risque
résiduel. La présence des États-Unis en Europe
constitue en outre un garde-fou supplémentaire pour éviter
toute résurgence des rivalités européennes.
La dynamique
actuelle de développement dactions communes de lEurope
et de lAmérique en matière de sécurité
se fonde au premier chef sur les problèmes de stabilisation
régionale, de prévention et de gestion des crises,
de stabilisation par lintégration politique et économique
et de coopération multilatérale. La question est de
savoir si les États-Unis et lEurope peuvent réagir
en commun dans le cadre de lOTAN, de lUE, des Nations
Unies et de lOSCE lors de crises ou de conflits régionaux
en Europe et à sa périphérie, et selon quelles
modalités. Lobjectif est délaborer des
stratégies communes pour mettre en place des liens multilatéraux
et réaliser lintégration de lEurope centrale,
de lEst et du Sud-Est.
Les intérêts
allemands sont dans ce domaine plus marqués encore que ceux
des autres États européens : la consolidation de la
démocratie et de léconomie à lest
de la frontière de lOTAN et de lUE de 1989 et
lintégration internationale ainsi que multilatérale
de ces États dans les structures existantes revêtent
une importance vitale pour lAllemagne. Ce nest pas par
hasard que les États-Unis et lAllemagne ont été
les moteurs de lélargissement de lOTAN à
lEst ainsi que de la création du conseil conjoint permanent
entre lOTAN et la Russie, de même quils se font
aujourdhui les avocats dun élargissement rapide
de lUnion européenne vers lEst.
Les structures
économiques des deux côtés de lAtlantique
sont complémentaires. Lintensité des échanges
économiques saccroît, en particulier pour les
flux de marchandises et de capitaux. Aujourdhui, les groupes
mondiaux sont en fait essentiellement des entreprises euroatlantiques.
Cest lEurope dans son ensemble, et non lAsie,
qui représente le premier investisseur, employeur et,
mis à part le Canada , le premier partenaire commercial
des États-Unis. Un employé américain sur douze
travaille dans une entreprise sous direction européenne.
Inversement, les entreprises américaines emploient plus de
trois millions dEuropéens. Dans le cas de grandes firmes
euroatlantiques telles que Daimler-Chrysler, on peut à juste
titre parler dune nouvelle qualité des liens économiques
qui aura nécessairement des retombées politiques et
culturelles. Dans le domaine économique on ne peut certainement
pas parler de dérive continentale entre lEurope et
lAmérique, mais bien au contraire de rapprochement.
Ainsi léconomie, malgré des conflits occasionnels,
devient un facteur central du rapprochement transatlantique.
Les affinités
culturelles unissent toujours les deux espaces. LAmérique
et lEurope possèdent un fond de valeurs communes et
constituent des sociétés civiles comparables du point
de vue historique et structurel. Elles ont également une
conception très proche de la démocratie, des droits
de lhomme et de lÉtat de droit ainsi quun
intérêt à lexportation de ces valeurs
dans le monde entier.
Conflits
transatlantiques
En revanche,
une différence fondamentale entre lEurope et lAmérique
consiste dans le principe selon lequel lAmérique et
lEurope définissent leurs relations internationales,
cest-à-dire en tant que multilatérales, isolationnistes
ou unilatérales. Un débat de politique étrangère
entre ces différentes options est en cours aux États-Unis,
qui reprend le débat historique entre deux écoles
politiques : entre les partisans dHamilton, de Jefferson et
de Jackson.
Il est clair
que lobjectif de la politique étrangère menée
par les États-Unis demeure dimposer partout dans le
monde les valeurs et les intérêts américains.
Mais les procédés mis en uvre pour atteindre
cet objectif sont en revanche soumis à des variations. Dans
la politique extérieure américaine, cest un
mélange de multilatéralisme sélectif et dune
tendance ponctuelle à laction unilatérale qui
gagne actuellement du terrain. Le slogan est "America first". Ce
sont les États-Unis qui décident prioritairement à
quel moment quels moyens et quelles institutions seront mis en uvre
pour que soient universellement reconnus les valeurs et intérêts
définis par les États-Unis et qui ont une vocation
universelle.
Ce principe
reçoit en particulier le soutien des milieux proches du parti
républicain, occasionnellement aussi de certains démocrates.
Il ne fait pas lobjet dun consensus sans faille aux
États-Unis, car en Amérique aussi on trouve des partisans
convaincus du multilatéralisme. Mais la conception selon
laquelle lAmérique est en droit, lorsque ses intérêts
nationaux lexigent, duser de sa puissance, si nécessaire
sans le soutien ni même lassentiment de ses partenaires,
bénéficie dun soutien croissant depuis 1989.
La conscience de leur supériorité morale et militaire
unique ne fait que conforter ce réflexe.
En Europe en
revanche, cest le multilatéralisme qui prévaut
depuis 1945 comme mode daction privilégié de
la politique extérieure. Cela se manifeste de façon
particulièrement évidente dans le processus dintégration
européenne ainsi que dans lattitude des Européens
en matière de sécurité collective et de défense.
Cela est valable en particulier pour lAllemagne qui en raison
de son histoire et de sa situation géographique a fait du
multilatéralisme un dogme incontournable de sa politique
extérieure. LEurope a retenu de son histoire que seules
lintégration multilatérale du pouvoir et la
canalisation multilatérale des conflits dintérêts
entre les États permettent une stabilité régionale
durable et donnent aux États intéressés un
véritable sentiment de sécurité.
Il existe toute
une série de sujets qui mettent au jour lopposition
actuelle entre lEurope et lAmérique sur le choix
de la stratégie extérieure : la politique américaine
vis-à-vis des Nations Unies, le rejet par le Sénat
du traité CTBT (traité dinterdiction complète
des essais nucléaires), la discussion américaine sur
le traité ABM (traité sur la limitation des systèmes
de défense anti-missiles), sur le bouclier anti-missiles
(NMD), sur le Tribunal pénal international, sur la convention
sur les mines antipersonnel ou la mise en uvre des conventions
sur le climat et du protocole de Kyoto.
Dans le domaine
plus spécifique de la politique de sécurité
et de défense il existe également des différences
de conception entre les deux continents. Les différends sur
les questions de répartition des charges ne sont pas nouveaux.
Le gouvernement et surtout le Congrès américain considèrent
que la contribution européenne est insuffisante et réclament
une augmentation des budgets de défense européens
ainsi quun renforcement des capacités militaires opérationnelles
de lEurope. Il existe également des points de vue divergents
entre les deux continents concernant la finalité de la PESD.
Il ne faut
pourtant pas perdre de vue les divergences internes à lAmérique
(entre le Congrès et le gouvernement par exemple) ni les
divergences intra-européennes (la plupart du temps nationales,
parfois aussi entre partis politiques). Tandis quau gouvernement
américain on considère avec méfiance la PESD
en particulier à cause de la France des voix
sélèvent, surtout dans les rangs du Congrès,
pour exiger des Européens quils mettent enfin en place
un véritable "burden sharing" (répartition des charges),
quils assument la gestion des crises en Europe au lieu den
appeler invariablement à l"american leadership" en
cas de crise. Car ces mêmes Européens qui revendiquent
une autonomie accrue de lEurope vis-à-vis des États-Unis
exigent que les États-Unis assurent la défense de
lEurope dès que les choses deviennent sérieuses.
Et souvent ce sont justement ces mêmes Américains que
nous soupçonnons de réticences vis-à-vis de
la PESD qui invitent les Européens à participer plus
activement aux opérations communes en Europe et à
lextérieur, voire à assumer seuls la gestion
des crises européennes. Cela montre que les différences
danalyse ne passent pas entre lEurope et lAmérique,
mais à lintérieur des partenaires eux-mêmes.
Les relations
avec la Russie constitueront également à lavenir
un test pour le partenariat transatlantique. Les intérêts
en jeu se recouvrent dans une large mesure, mais des divergences
apparaissent également sur des points particuliers : les
Américains se concentrent davantage sur les armes nucléaires
et les ressources énergétiques de la Russie ; lEurope
en revanche voit avant tout dans la Russie son puissant voisin et
accorde davantage dattention à sa politique régionale
et à son intégration dans les structures européennes
et leur système de valeurs. La réussite de la démocratie
en Russie et son intégration dans un système dengagements
multilatéraux constitue en revanche un intérêt
commun.
Cest
avant tout dans le domaine économique que le rapprochement
entre lEurope et lAmérique est le plus net. Mais
la proximité génère également de nouveaux
points de friction. Des différends tels que le conflit à
propos des bananes, louverture des marchés pour lacier,
le textile ou de nombreux produits agricoles, dans le domaine des
télécommunications ou le litige entre Boeing et Airbus
sont inévitables étant donné limbrication
des économies et demeurent circonscrits au domaine économique.
Dans ce cas les gouvernements parviennent le plus souvent à
négocier des compromis considérés comme acceptables
pour les deux parties comme pour les Parlements et lopinion
publique.
La rivalité
transatlantique prend une tout autre dimension lorsquil sagit
de décider laquelle des deux parties imposera ses normes
au niveau international. Car celui qui impose ses normes technologiques
sassure un avantage économique sur ses concurrents.
Cest un élément non négligeable dans
la bataille transatlantique pour le choix des normes techniques
pour la nouvelle génération de téléphones
mobiles ou dans le domaine du "e-commerce". Mais même ces
rivalités ne constituent pas un réel problème
pour les relations transatlantiques car elles peuvent être
réglées dans le cadre des règles communes de
léconomie de marché.
Dans le cas
de la viande aux hormones, des organismes génétiquement
modifiés, de la pollution sonore ou de la confidentialité
des données personnelles en revanche, ce ne sont pas seulement
des intérêts économiques divergents qui se heurtent,
mais avant tout deux échelles de valeurs sociales. Et cest
précisément cela qui est problématique, car
lexistence dune communauté de valeurs comme celle
qui unit incontestablement lespace nord-atlantique ne garantit
pas lunanimité sur toutes les questions touchant à
léthique. Ainsi les questions litigieuses associant
économie et valeurs, ou bien, pour le formuler autrement,
le conflit entre valeurs éthiques et valeurs marchandes recèlent
un potentiel de conflit considérable.
Dans les questions
qui concernent exclusivement les choix de société
et pour lesquelles les considérations économiques
ninterviennent pratiquement pas, les divergences dans la hiérarchie
des valeurs suscitent des problèmes qui étaient demeurés
cachés à lépoque de la lutte commune
contre une idéologie ennemie : au cours des dernières
années, les États-Unis se sont fondés sur leur
conception de la liberté religieuse pour critiquer le traitement
dont fait lobjet la secte de scientologie en Allemagne. LAllemagne
leur a opposé un refus. Un conflit analogue existe à
propos dInternet entre la priorité accordée
par les États-Unis à la liberté dinformation
et les démarches européennes pour une interdiction
internationale de la diffusion de documents pédophiles ou
racistes ou sur la question de la diffusion illégale en Allemagne
de matériel de propagande dextrême-droite en
provenance des États-Unis.
Le conflit
sur la peine de mort nest pas non plus résolu. Tous
les États européens ont inscrit son abolition dans
leur législation, tandis quà linverse
le nombre des États américains qui appliquent la peine
de mort sest accru. La peine de mort compte de nombreux partisans
en Europe comme de nombreux adversaires aux États-Unis. Mais
les élites européennes ne peuvent en aucun cas admettre
lexécution de mineurs ou de handicapés mentaux.
Les exécutions capitales aux États-Unis heurtent plus
les Européens dans leur sensibilité éthique
que des exécutions dans dautres pays parce les Européens
et les Américains sont à bon droit convaincus de lexistence
dune communauté de valeurs entre les démocraties
européenne et américaine.
Enfin des divergences
de principe existent sur la question de lÉtat social.
Les Américains ont tendance à considérer les
structures sociales européennes comme incompatibles avec
les conceptions de léconomie moderne. Les Européens
en revanche considèrent leur réseau de protection
sociale et leurs principes égalitaires dans léducation
comme des acquis essentiels de la démocratie conçus
dans leur principe même comme des facteurs de productivité
et non comme une entrave économique. Limbrication croissante
des économies des deux côtés de lAtlantique
a alors pour conséquence que les effets externes des modèles
respectifs sont ressentis par les partenaires comme atteinte à
la libre concurrence, comme entrave commerciale ou au contraire
comme mise en cause de leur politique économique et sociale.
Un nouvel
atlantisme
Objectivement,
les points qui nous opposent naugmentent pas. Cest la
perception de ces conflits qui devient en revanche plus aiguë
et plus douloureuse en raison du resserrement croissant des liens
transatlantiques. Les problèmes existants ne sont pas lexpression
dune dérive, mais au contraire dune proximité
toujours plus grande des deux continents. Les sociétés
européenne et américaine sont aujourdhui si
étroitement liées que ces relations ont perdu leur
caractère de politique étrangère pour devenir
quasiment des questions de politique intérieure. Les discussions
et décisions économiques, sociales et culturelles
des États-Unis font lobjet de débats de politique
intérieure en Europe. Il ne faut pas sattendre à
une diminution de limportance de la politique intérieure
américaine en tant que référence en partie
controversée des discussions et décisions de politique
intérieure en Europe, même si lintégration
européenne progresse.
Au sein de
notre société, les conflits entre priorités
divergentes sont tranchés par des élections, des majorités
parlementaires ou des décisions judiciaires. Ces processus
institutionnels ne peuvent être utilisés, sinon dans
une mesure très restreinte, pour résoudre les conflits
suscités par les relations transatlantiques que nous venons
dévoquer. Il est dautant plus important que nous
discutions plus intensément encore que par le passé
de ces conflits, afin que non seulement nos économies, mais
aussi nos sociétés puissent créer des structures
pour régler ces conflits. Les hommes politiques ont bien
entendu voix au chapitre. Mais il est avant tout essentiel que ce
débat soit mené au niveau culturel et économique
et inclue les organisations non gouvernementales. Il nexiste
pas de signes sérieux dune rupture culturelle entre
lEurope et les États-Unis. Il y a tout lieu de croire
que des démocraties stables comme les nôtres, liées
à leurs partenaires à différents niveaux, percevront
dans les relations euro-atlantiques, y compris germano-américaines,
les chances et perspectives communes plutôt que les problèmes
et conflits inévitables dans tout partenariat étroit.
De ce point de vue, il est légitime de constater que les
difficultés auxquelles nous sommes actuellement confrontés
dans les relations américano-européennes ne constituent
que la transition entre lancien partenariat transatlantique
dominé par le conflit Est-Ouest et la nouvelle communauté
euro-atlantique qui pourrait bien devenir un facteur important,
voire le plus important, de stabilité démocratique
et de prospérité économique dans le monde :
nous prenons congé de lancien atlantisme et sommes
témoins de la naissance dans la douleur du nouvel atlantisme.
Traduction Forum (PE)
|