La guerre
froide est terminée, mais des zones de tension subsistent dans le
monde. L'Europe n'est certes plus coupée en deux par le rideau de
fer, mais la sécurité, la prospérité et la stabilité démocratique
sont aussi mal partagées qu'avant. Pire encore, l'Europe a connu
de nouveau la guerre, comme dans l'ex-Yougoslavie.
C'est autour de cette réalité que va s'articuler le partenariat
entre la France et l'Allemagne. En moins de cinquante ans, nos deux
peuples ont œuvré à une réconciliation, qui reste inégalée dans
l'histoire du Monde. La guerre est devenue impensable entre nous.
C'est là un héritage qu'il nous faut protéger. Mais aujourd'hui,
l'enjeu est autre. Il s'agit d'affirmer ensemble notre place et
notre rôle dans le monde.
Ensemble, cela ne veut pas dire seulement nos deux pays. La France
et l'Allemagne doivent se considérer comme des partenaires dans
l'Europe et pour l'Europe.
I.
Par Europe, nous entendons d'abord nos partenaires de l'Union européenne.
Cette Union doit poursuivre son développement pour devenir un acteur
capable d'agir au plan international. Cette évolution ne saurait
supporter une "scission" d'un groupe qui se détacherait du reste
de l'UE. D'un autre côté, l'approfondissement nécessaire de l'intégration
européenne ne doit pas être bloquée par la résistance de tel on
tel pays.
Sans une concertation étroite entre l'Allemagne et la France, ce
double objectif ne peut être atteint.
Les conséquences d'un manque de capacité d'action commune de l'Europe
durant la guerre en ex-Yougoslavie ont été douloureusement ressenties.
Bien qu'ils se soit déroulé à nos portes, les Européens ont été
incapables d'arrêter ce conflit, de faire cesser les massacres et
la purification ethnique.
Ce n'est que par une véritable politique extérieure et de sécurité
commune (PESC) que l'Europe pourra être un sujet décidant de son
destin, et non un objet soumis à un sort décidé par d'autres. La
conférence intergouvernementale de l'UE à Amsterdam n'a donné que
des résultats insuffisants. Nous saluons la mise en place d'une
unité d'analyse et de planification, qui sera dirigée par le Secrétaire
Général PESC, mais nous regrettons que les prises de décision à
la majorité ne sont, comme auparavant, possibles que d'une façon
restreinte.
Il faut toutefois bien comprendre une chose : de tels moyens et
méthodes peuvent favoriser la volonté politique d'union, mais ne
sauraient la remplacer. La crise dans l'ex-Yougoslavie l'a montré:
Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que des défis extérieurs
entraînent par la force des choses une volonté d'action commune.
C'est en elle-même que l'Europe doit puiser les forces nécessaires
à cette volonté, et nous ne pourrons parvenir à les mobiliser qu'en
approfondissant notre intégration.
Une Europe incapable d'agir sur le plan militaire ne peut pas être
un partenaire à part entière, que l'on prenne au sérieux. La possibilité
établie par le traité de l'Union Européenne, révisé à Amsterdam,
de participer dans des cas concrets et avec l'aide de l'UEO à des
missions humanitaires, des mesures pour stabiliser et renforcer
la paix à la base d'un mandat de l'ONU ou de l'OSCE, y correspond.
Nous persistons dans le but, qui n'a pas été atteint à Amsterdam,
d'intégrer l'UEO aussi vite que possible dans l'Union Européenne.
La politique européenne de sécurité pourrait bien être mise à l'épreuve
si les Etats-Unis décidaient, comme ils l'ont annoncé, de retirer
leurs troupes de la mission multinationale de paix pour la Bosnie
à l'échéance de leur mandat actuel. Il est aujourd'hui trop tôt
pour dire qu'alors, les Européens devraient assurer la poursuite
de la stabilisation militaire du processus de paix. Il faut pour
cela surtout qu'une véritable volonté de paix apparaisse clairement
entre les parties présentes en Bosnie. Mais il est aussi trop tôt
aujourd'hui pour dire que les Européens devraient en tout cas se
retirer en même temps que les Américains.
Il faut que l'Europe parle davantage d'une même voix, unisse ses
potentiels et crée "l'identité européenne de défense".
La France et l'Allemagne doivent également aborder la question du
nucléaire. Plus que tout autre domaine, elle touche au fondement
de la souveraineté nationale. On ne peut pas envisager de prise
de décision à la majorité pour l'engagement du feu nucléaire. Mais
ce qu'on peut et qu'on doit envisager, c'est un débat franc et ouvert
sur la façon d'insérer le potentiel nucléaire français dans le processus
d'intégration européenne. L'Allemagne n'a pas et ne veut pas l'arme
atomique. Elle ne veut pas non plus avoir "le doigt sur la détente"
des armements nucléaires des autres. Mais dans une communauté de
sort franco-allemande, il ne peut pas y avoir de sujet tabou. Pourquoi
dès lors ne pas créer un groupe de consultation sur les questions
nucléaires, dans lequel les Européens, pourront parler du rôle politique
et militaire des armes nucléaires ?
II.
Jusqu'ici, nous avons parlé de l'Europe en tant qu' Union européenne.
Au sens géographique comme au sens culturel, l'Europe est allée
et va évidemment au delà des frontières de l'UE. Toutefois, au plan
politique, pendant des décennies, l'Europe a été déchirée par l'antagonisme
entre l'Est et l'Ouest.
Aujourd'hui, plus aucune confrontation entre deux systèmes irréconciliables
ne fait obstacle à la construction d'un ordre de paix pour l'ensemble
de l'Europe. Une paix stable n'est possible qu'entre des sociétés
stables, et au bout du compte, les sociétés ne sont stables que
lorsqu'elles connaissent la réussite économique, offrent la sécurité
extérieure et la protection sociale, et respectent les Droits de
l'homme et du citoyen.
L'Allemagne et la France doivent être partenaires pour la stabilité
démocratique, la sécurité et la prospérité dans toute l'Europe.
Pour cela, il existe au fond deux approches : l'intégration de nouveaux
membres dans l'UE et l'OTAN d'une part, et la coopération avec les
autres pays européens d'autre part. L'intégration signifie l'ouverture
de l'Union européenne et de l'OTAN à de nouveaux Etats membres,
la coopération signifie coopérer avec tous en Europe.
Il ne faut pas creuser de nouveaux fossés en Europe. L'intégration
de quelques-uns ne doit pas se faire au détriment des autres, mais
de la même façon, la coopération avec quelques-uns ne doit pas entraver
l'intégration d'autres.
Réunir ces deux approches constitue un défi auquel on ne pourra
pas se soustraire en le niant ou en ne se décidant que pour l'une
des deux approches. L'intégration de tous n'est pas possible, mais
l'Union européenne et l'OTAN ne peuvent pas rester sourds aux souhaits
compréhensibles d'adhésion de pays appropriés. D'un autre côté,
les deux organisations ne seraient pas à la hauteur de leur responsabilité
pour l'ensemble de l'Europe si elles se contentaient de miser sur
une intégration sélective.
Promouvoir la stabilité, la prospérité et la sécurité en Europe,
c'est avant tout un devoir politique. L'intégration des pays d'Europe
centrale dans l'Union européenne aura plus d'impact sur leur stabilité
et la stabilité de l'Europe toute entière que leur entrée dans l'OTAN.
L'OTAN est une alliance militaire d'Etats souverains avec des fonctions
politiques, alors que l'UE est une union politique, économique et
sociale d'Etats à la souveraineté partagée. A l'intérieur de l'Union
européenne, cette intégration étendue garantit la paix et la stabilité
démocratique. À l'extérieur, elle ne se présente pas comme une organisation
militaire, qui puisse être considérée par d'autres comme une menace.
L'élargissement de l'OTAN doit être menée de manière à renforcer
la sécurité de tous. Le Traité fondamental signé entre l'OTAN et
la Russie à Paris le 27 mai 1997 a permis de réduire le risque de
confrontation entre les signataires de l'accord. Un tel accord,
qui définit le cadre institutionnel du partenariat, eut d'ailleurs
été nécessaire même si l'OTAN n'avait pas été élargie. Il ne peut
y avoir de système de sécurité collective qui soit viable en Europe
sans la Russie. Ce raisonnement est également valable pour l'Ukraine
et c'est pourquoi nous saluons la charte de partenariat OTAN-Ukraine.
Au
sommet de Madrid les 8 et 9 juillet 1997, seuls trois pays seront
admis à négocier leur entrée dans l'OTAN: la Pologne, la Hongrie
et la République tchèque. De notre point de vue, il eut été souhaitable
d'accueillir également la Roumanie et la Slovénie.
Pour que l'élargissement de l'OTAN contribue à plus de stabilité
en Europe, il est nécessaire que ceux qui ne seront pas admis à
négocier lors du sommet de Madrid ne se considèrent pas comme définitivement
exclus du processus. Chaque pays est libre de demander l'adhésion
à l'alliance de son choix et nul ne peut revendiquer un quelconque
droit de veto en la matière. Toutefois, il ne faut pas considérer
que l'acceptation de la Russie à ce processus aille de soi et que
la conclusion du Traité fondamental entre la Russie et l'OTAN règle
tous les problèmes. Plus l'élargissement se traduira parallèlement
par une coopération renforcée avec la Russie, plus on accroîtra
la sécurité de chacun en Europe.
L'OTAN a eu raison d'assurer que le déploiement d'armes nucléaires
sur le territoire des nouveaux Etats membres ne serait pas nécessaire.
D'ailleurs, l'élargissement à l'Est de l'OTAN doit être perçu comme
l'occasion de faire avancer le désarmement. On voit circuler des
estimations de coûts basées sur l'idée d'un armement massif à l'occasion
de l'intégration de nouveaux pays dans l'OTAN. Cette idée repose
sur les schémas de pensées d'hier, articulés autour des catégories
de l'ancien conflit entre l'Est et l'Ouest.
L'heure est au désarmement. Les forces conventionnelles en Europe
peuvent et doivent faire l'objet de nouvelles réductions, et le
Traité FCE correspondant doit être modifié de façon à ce que l'élargissement
à l'Est de l'OTAN ne conduise pas à accroître son potentiel. La
sécurité des nouveaux membres de l'OTAN ne nécessite pas l'installation
de troupes étrangères sur leur sol. Dans le domaine des armes nucléaires
stratégiques, nous appelons les Etats-Unis et la Russie à convenir
le plus vite possible de nouvelles réductions drastiques des potentiels
(START III). Pour cela, il faut que la Douma russe ratifie les accords
START II. Au delà de START III, il faut que toutes les puissances
nucléaires soient prêtes à participer aux négociations sur le désarmement.
L'UE et l'OTAN sont des organisations dont le nombre de membres
est réduit, mais dont la mission s'étend à toute l'Europe. L'OSCE
est la seule organisation qui réunit tous les Etats européens ainsi
que les Etats-Unis et le Canada. Cette spécificité la rend d'une
part irremplaçable, mais d'autre part, le nombre et l'hétérogénéité
de ses Etats membres limitent sa capacité à agir. Comme toute organisation
internationale, l'OSCE ne peut offrir que ce que ses membres lui
permettent d'offrir. Nous prônons le renforcement de l'OSCE. Ainsi,
il faudrait par exemple étendre les compétences du Secrétaire Général
de l'OSCE, et renforcer ses instruments opérationnels (Haut-commissaire
aux minorités nationales, missions de l'OSCE).
La sécurité en Europe et pour l'Europe ne peut pas se faire sans
les Etats-Unis d'Amérique. Il n'existe, ni pour les Etats-Unis,
ni pour l'Europe, d'autre solution que la poursuite de relations
très étroites, basées sur les fondations solides que sont nos valeurs
communes et nos intérêts communs.
Mais les intérêts américains et européens ne se recouvrent pas nécessairement
toujours. Si nous sommes avant tout partenaires, nous sommes aussi
concurrents, en particulier dans le domaine économique. Washington
cherche certes à se désengager, mais souhaite naturellement perdre
le moins possible de sa propre influence. C'est ce que montre la
querelle au sujet du commandement Sud de l'OTAN.
L'Europe ne peut pas faire valoir pleinement ses intérêts si elle
est désunie. C'est pourquoi c'est à nous, Européens, de relever
le défi d'un partenariat transatlantique d'égal à égal. Au final,
c'est nous-mêmes, Européens, qui déciderons de l'avenir de "l'européanisation
de l'OTAN".
III.
La France et l'Allemagne, partenaires en Europe et pour l'Europe
de la stabilité démocratique, de la solidarité sociale, de la prospérité
économique et du développement écologique durable -telle est la
vision qui nous guide et nous anime. Cela passe d'abord par le renforcement
de l'Union européenne jusqu'à devenir un véritable acteur, et son
élargissement progressif à de nouveaux membres. Mais après la fin
de la guerre froide, nous pouvons et nous devons définir encore
plus largement notre mission européenne. Nous pouvons désormais
travailler à l'élaboration d'une Europe entière pacifique et stable,
parce qu'en elle sont réalisés la démocratie, l'état de droit, et
l'économie sociale de marché.
Ce sont là deux projets européens ambitieux. Il n'y a aucune raison
qu'ils ne réussissent pas, et ils ne réussiront que si la France
et l'Allemagne agissent ensemble comme partenaires en Europe et
pour l'Europe.
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