Monnaie
et Armée ont été de tous temps considérées comme les attributs de
la puissance et de la souveraineté d'une nation. Il suffit pour
s'en convaincre, de constater les difficultés que rencontrent les
pays membres de l'Union Européenne à se mettre d'accord sur ces
sujets fondamentaux. Aussi, le 2 mai 1998 est-il considéré comme
une date importante dans l'histoire de l'Europe, puisqu'elle marque
officiellement l'adhésion d'une majorité de ses membres à une monnaie
unique, l'EURO.
Pour ce qui concerne la Défense, la situation est loin d'avoir atteint
ce stade de maturité. Certes, le Traité de Maastricht, dans son
titre V, traitait bien des dispositions relatives à la mise en œuvre
d'une Politique Etrangère et de Sécurité Commune, la PESC. Cette
volonté affirmée par les Etats européens de converger dans ce domaine
paraissait devoir favoriser la mise en œuvre d'une politique de
défense commune et donc rendre plus aisée la mise sur pied d'une
industrie de défense européenne dont le marché domestique ne serait
plus limité au seul marché national, mais étendu, sinon à toute
l'Union, du moins à plusieurs des pays membres.
Cet optimisme devait, hélas, être assez vite tempéré au cours de
ces dernières années, et force est de constater, que sans l'initiative
volontariste de certains industriels, les restructurations industrielles
européennes dont on parle beaucoup, en seraient encore au point
de départ.
Le groupe LAGARDERE a, pour sa part, joué très tôt la carte de l'Europe,
conscient qu'il n'y avait pas d'autre alternative pour résister
à la concurrence de plus en plus écrasante de l'industrie américaine,
tant dans le domaine de la défense que dans le domaine spatial d'ailleurs.
Est-il nécessaire de rappeler que la décision de créer MATRA MARCONI
SPACE fut prise par les deux actionnaires, GEC et MATRA, dès la
fin des années 80.
Ceci étant dit, il ne suffit pas de vouloir pour faire, et il est
clair qu'on ne peut s'affranchir de certaines étapes pour parvenir,
au bout du compte, à des alliances structurelles fortes et durables
qui engagent les actionnaires sur le long terme. La première est
sans aucun doute, le passage par une coopération industrielle sur
des programmes spécifiques. Dès les années 60, MATRA coopérait avec
l'industrie britannique dans le domaine des missiles antiradars.
Plus tard, ce fut avec l'industrie italienne dans le domaine des
missiles mer-mer. Dans les années 80 une coopération fut engagée
avec l'industrie allemande pour le développement d'un missile air-sol
qui fut en quelque sorte le précurseur des missiles de croisière
d'aujourd'hui.
Au delà de ces coopérations qui amènent les techniciens et les ingénieurs
à se fréquenter et donc à se mieux connaître, il faut aussi qu'au
niveau des actionnaires il y ait une volonté, que je qualifierais
de politique, de s'associer. A la fin des années 80, le retour au
secteur privé de MATRA fut l'occasion de faire entrer au capital
du groupe des partenaires européens aussi importants que GEC et
DAIMLER-BENZ. Parallèlement, MATRA prenait une participation de
20% dans le capital de l'entreprise allemande BGT, aux côtés du
groupe DIEHL.
Pour importants qu'ils fussent, ces accords n'en étaient pas moins
insuffisants pour répondre à l'incroyable défi lancé par l'industrie
américaine. Il est clair qu'il y a encore trop de maîtres d'œuvre,
dans nos domaines, en Europe. Une restructuration plus profonde
s'impose, tout le monde en est persuadé, mais le temps presse.
On ne peut donc que se réjouir de la déclaration officielle des
Chefs d'Etat et de Gouvernement allemand, britannique et français,
faite à la fin de l'année 97, affirmant la volonté commune des trois
pays de tout mettre en oeuvre pour faciliter les regroupements dans
le domaine des industries aérospatiales et de défense. Pour notre
part, nous avions déjà saisi la première opportunité d'un rapprochement
structurel avec l'industrie britannique dès 1996. En effet, le choix
par le gouvernement britannique d'abord, le gouvernement français
ensuite, du missile de croisière proposé conjointement par BAe Dynamics
et MATRA, fut le catalyseur longtemps attendu de l'opération de
fusion des activités missiles tactiques de nos deux groupes. Effective
dès le 1er novembre 96, cette fusion portait création de la société
Matra BAe Dynamics, qui, dans la foulée, négociait avec DASA une
prise de participation de 30% dans le capital de sa filiale missiles
tactiques, LFK, participation confirmée dès le mois de mai 97.
Le dossier AIRBUS, dans le domaine aéronautique, occupe bien évidemment
le devant de la scène en matière de restructurations. Mais il ne
doit pas occulter l'ampleur de la tâche à réaliser dans tous les
domaines de l'industrie de défense. La reconnaissance par les principaux
Ministres de la Défense européens, en avril dernier, "des progrès
considérables en cours en matière de rationalisation des industries
de défense" n'est, à cet égard que la reconnaissance de fait que
le problème s'étend bien au delà du débat sur le sort d'AIRBUS.
Pour ce qui concerne la société Matra BAe Dynamics dont les actionnaires
m'ont confié la responsabilité, c'est aujourd'hui la première à
fonctionner de manière intégrée, avec dans toutes les Directions
des équipes mixtes, franco-britanniques, constituées de façon à
mettre en valeur les synergies dont on parle tant, et donc à renforcer
notre efficacité et notre compétitivité. Même s'il reste encore
de nombreux obstacles à surmonter, d'ordre législatif, réglementaire
ou culturel, ce mode de fonctionnement s'impose à nous. Nous espérons
d'ailleurs beaucoup que l'engagement officiel des gouvernements,
allemand, britannique, espagnol, italien et français, à procéder
aussi rapidement que possible, à l'élimination des obstacles de
nature politique ou réglementaire se traduira rapidement par des
mesures concrètes, notamment pour ce qui concerne les problèmes
de sécurité de défense, de droits de propriété industrielle et d'exportation.
De toute façon, les choses sont aujourd'hui claires :
- ou bien rien de notable ne se fait au-delà des quelques initiatives
industrielles existantes, et l'Europe de la défense deviendra de
plus en plus dépendante d'un petit nombre d'industriels américains,
- ou bien une action vigoureuse est conduite dans les mois qui viennent,
avec le soutien actif des gouvernements, et il existe alors une
chance de préserver l'essentiel, à un niveau de coût et d'efficacité
rendu raisonnable par l'existence de la compétition globale avec
l'industrie américaine.
Nous sommes prêts, pour notre part, à poursuivre notre effort à
un rythme qui soit acceptable à la fois par les gouvernements et
par les actionnaires.
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