Forum : Monsieur Duve, vous avez vous-même reconnu que votre poste
n'a aucun pouvoir. Pourquoi alors l'OSCE a-t-elle besoin d'un chargé
de relation avec les médias ?
Freimut Duve : Contrairement à l'ONU où certains Etats membres
sont des dictatures, l'OSCE veux être une famille rassemblant des
Démocraties. L'ensemble des cinquante quatre pays se doit de jouer
cartes sur table. Mon devoir est de préserver la liberté de la presse.
Un manque formel de pouvoir ne signifie pas forcément un manque
d'influence.
Forum : Pourtant, la liberté de la presse et de l'information
constituait l'une des conditions pour être partenaire de l'OSCE.
F. D. : Cette liberté ne doit pas seulement exister au cœur
des Etats-membres, mais sert également de base à toutes conventions.
Lorsqu'on lit l'acte de Budapest, le traité de Copenhague ou la
charte d'Helsinki de 1975, c'est toujours clair : les pays signataires
sont devenus membres aussi parce qu'ils représentent des démocraties
ou cherchent au moins à le devenir. En revanche, au Conseil de Sécurité
de l'ONU, une dictature puissante, la Chine, siège encore. Une telle
situation ne serait pas possible au sein de l'OSCE.
Forum : L'effondrement du communisme n'a pas systématiquement
conduit à la liberté d'opinion ou à la liberté de la presse. Pouvez-vous
aider à ce processus ?
F. D. : Je l'espère. Dans les jeunes démocraties, les hommes
politiques tentent de se présenter comme les seuls garants de la
stabilité et du progrès. La manière dont on traite les journalistes
engagés dans certains pays est inacceptable pour moi.
Forum : Le principal danger ne provient-il pas de la puissance
financière des consortiums qui achètent les médias les plus importants
?
F. D. : En effet, cela constitue l'une de mes grandes préoccupations.
Non seulement les décisions politiques mais également certaines
décisions économiques doivent être confrontées à l'opinion public.
Il n'y aurait jamais eu la catastrophe de Tchernobyl si une véritable
critique de l'énergie atomique avait été possible en U.R.S.S.. A
la place, on avait décrété officiellement que l'énergie nucléaire
était une énergie favorable et fiable. Cet état d'esprit existe
également en Europe occidentale.
Forum : Votre mandat n'est pas seulement valable dans les pays
où la presse libre est en train de se développer, mais également
dans "les vieilles démocraties". Où peut-il y avoir des problèmes
?
F. D. : Dans ce domaine, il s'agit d'une autre partie de
mes attributions : quel rôle jouent la liberté de parole et la liberté
de la critique, c'est-à-dire le journalisme et son éthique face
à l'industrialisation des médias? Au sein des grands consortiums
médiatiques, la place du journaliste devient relativement restreinte.
Si à l'avenir les médias prennent la place de l'industrie de l'acier
ou de la construction des machines-outils au centre de l'économie,
ceux-ci auront la responsabilité de préserver le rôle du journalisme;
a l'instar de l'Etat, elles auront l'obligation de lui garantir
un espace protégé.
Forum : Le rôle du journalisme a connu, en particulier dans divers
pays d'Europe, des histoires différentes. La liberté de la presse
tient-elle des positions distinctes dans chaque pays de l'OSCE ?
F. D. : Il y a en effet des différences dramatiques. Les
pays ex-communistes n'ont eu qu'une histoire démocratique relativement
courte avant la dictature. Que le pays ait subi soixante dix ou
seulement douze années de pouvoir totalitaire constitue également
une importante différence en ce qui concerne l'expérience démocratique.
Une culture démocratique constitue une nécessité quotidienne pour
la politique locale où il peut être nécessaire de critiquer la gestion
d'une mairie ou le développement d'une mafia qui émerge rapidement
là où il n'y a pas de liberté de la presse. Tout gouvernement estimant
devoir réduire la critique pour laisser des structures encore fragiles
se développer tranquillement, finit inévitablement dans une impasse.
La métamorphose d'un esprit novateur en un despote est parfois rapide.
Forum : Pensez-vous que l'adhésion des Etats-candidats d'Europe
de l'Est pose des problèmes à la liberté de la presse dans l'Europe
entière ?
F. D. : Dans le cadre de l'UE, les campagnes nationalistes
ne sont pas acceptables. il s'agit là d'une exigence primordiale
à l'égard des médias des futurs Etats-membres.
Forum : Pouvez-vous vous imaginer que le niveau de liberté de
la presse et de l'information de la Turquie permettra à ce pays
d'intégrer l'OSCE ou l'UE?
F. D. : En tout cas, on est obligé d'établir un dialogue
plus proche et plus ouvert avec les publicistes et les intellectuels
turques, pour créer un climat plus propice.
Traduction Forum
Bibliographie
- Bibliographie - "Vom Krieg in der Seele" - 1994 " Aufbrüche
- Die Chronik der Republik 1961-1986 - 1986.
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