Le 21 février 1998 la ville de Poznan a accueilli la première
rencontre au sommet polono-franco-allemand qui a été en quelque
sorte la consécration de la coopération de Weimar, nouée en 1991
par les ministres des affaires étrangères des trois pays, au lendemain
de la fin de la guerre froide. La première rencontre des ministres
intervenait dans un contexte politique particulier: le démantèlement
de l'Union soviétique, la réunification de l'Allemagne, la confirmation
de la voie démocratique adoptée par la Pologne, les changements
au sein de la Communauté européenne appelée à s'élargir à l'Est.
Cette même année la Pologne et l'Allemagne signaient le traité de
bon voisinage et de coopération, inspirées par l'exemple de la réconciliation
franco-allemande.
La France et l'Allemagne, engageant une coopération privilégiée
avec la Pologne, ont montré leur intérêt pour la nouvelle dimension
de l'Europe. Le déroulement du dernier sommet - voué à se répéter
à côté de rencontres régulières des ministres des affaires étrangères,
de la défense et d'autres - a démontré une proximité d'approches
des trois pays et le potentiel que renferme la coopération trilatérale.
Jusqu'alors elle a prouvé de son efficacité dans le processus d'intégration
de la Pologne dans les structures européennes et atlantiques: la
France et l'Allemagne ont accordé un appui considérable à la Pologne
dans ses aspirations à rejoindre la famille européenne et à faire
partie du système de sécurité occidental.
Le 31 mars dernier les négociations qui devraient aboutir à l'élargissement
de l'Union Européenne ont été inaugurées à Londres. Dans quelques
ans l'Union accueillera effectivement de nouveaux membres. Cette
échéance inévitablement de plus en plus proche, ainsi que celle
liée à l'élargissement de l'OTAN soulèvent parfois des soupçons
quant aux desseins réels de la Pologne vis-à-vis des deux structures
occidentales: ne déstabiliserons-nous pas la donne en introduisant
dans l'Union un facteur proaméricain fort? Comment concilier notre
attachement aux Etats-Unis et l'émancipation de l'Europe? Or, la
mise en valeur, dès 1991, de notre coopération avec les deux principaux
moteurs de l'intégration européenne, ne laisse pas de doute quant
à la vision du continent que nous partageons. Certes, nous apprécions
les garanties américaines mais cela en aucun cas n'affecte notre
besoin d'une Europe forte et compétitive. Les deux adhésions sont
complémentaires. Les pays membres de l'Union et, à la fois, de l'OTAN
le savent. M. Bronislaw Geremek, ministre des Affaires étrangères,
dans son discours à la Diète le 5 mars dernier a confirmé cette
ligne directrice de la politique étrangère de la Pologne en disant
"la coopération de la Pologne, de la France et de l'Allemagne dans
le cadre du Triangle de Weimar va jouer un grand rôle dans le processus
de l'adhésion de notre pays à l'OTAN et à l'Union Européenne [...]
Le Triangle peut faire accroître les chances de la Pologne à intégrer
les principaux pays de l'Union européenne et à créer avec la France
et l'Allemagne la "colonne vertébrale " de l'Europe".
Une fois le double objectif atteint, la coopération entre nos trois
pays ne perdra pas pour autant son intérêt. Au contraire: elle peut
apporter une contribution considérable à l'Europe commune et assurer
un équilibre de l'Europe élargie. Les trois pays, indépendamment
de leur passé parfois sanglant, ont su se réconcilier et partagent
les mêmes valeurs de civilisation. Les leçons qu'ils tirent de leur
propre histoire ainsi que de l'histoire qui leur est commune confirment
leur vocation à coopérer. Cette coopération privilégiée trouvera
son accomplissement au sein de l'Union européenne. La France et
l'Allemagne ont été depuis longtemps la force motrice de l'Europe.
La Pologne peut compléter ce couple et donner ainsi une nouvelle
dimension à l'avant-garde européenne.
Le rôle de la Pologne dans cette coopération triangulaire dans l'avenir
consisterait surtout à assurer un lien fort et actif avec les pays
de l'Est du continent, ceux qui ont vocation à devenir membres de
l'Union et ceux qui n'expriment pas un tel souhait. Forte de son
expérience historique, la Pologne s'est toujours prononcée en faveur
d'un élargissement qui ne créerait pas de nouvelles lignes de partage
- aussi bien dans la dimension économique, sociale et politique
que celle des structures de sécurité. Elle appuiera sans condition
l'entrée d'autres candidats de l'Europe Centrale et Orientale à
l'Union aussi bien à l'Union européenne qu'à l'OTAN. Par l'intermédiaire
de la contribution polonaise, le Triangle de Weimar peut ainsi devenir
un forum privilégié de débat et d'élaboration de la politique de
l'Union élargie envers la partie Est du continent.
La Pologne y apporte également son rôle stabilisateur dans la région.
Ses relations exemplaires avec les voisins, la consolidation de
ses institutions démocratiques et de l'économie du marché en font
un facteur qui garantira la stabilité de cette partie de la future
Union. Dans quelques années le frontière orientale de la Pologne
sera celle de l'Union. Ce défi nous incite à élaborer dès maintenant
les principes de circulation de personnes conformes aux exigences
communautaires et respectant à la fois nos obligations ne serait-ce
que morales envers nos voisins à l'Est. La stabilité des institutions
démocratiques en Pologne peut aussi servir d'exemple pour d'autres
pays de la région. L'alternance démocratique et la cohabitation
sont devenues chose courante dans le paysage politique polonais.
La continuité de la politique étrangère depuis 1989 nonobstant les
changements de gouvernements en est la meilleure preuve.
La coopération de Weimar ce sont aussi, à côté du volet politique
et celui militaire, les projets communs dans le domaine de la culture,
d'échange des jeunes. Les trois dirigeants ont évoqué lors du dernier
sommet des initiatives sur le champ d'éducation, de sorte que les
jeunes générations de Polonais, de Français et d'Allemands puissent
se rapprocher et contribuer à la construction européenne. Cet objectif
pourrait se réaliser notamment par le biais de l'Université européenne,
située en Pologne, qui pourrait devenir un espace de rencontre des
jeunes gens venant non seulement de nos trois pays, mais aussi -
et peut-être surtout - d'autres pays de l'Europe Centrale et de
l'Est.
Cette vocation future du Triangle de Weimar, profitant non seulement
aux trois pays qui le forment mais aussi à d'autres, à l'Est fera
ses preuves particulièrement au moment de premiers élargissements
effectifs de l'Union. Dès maintenant elle doit être mise en valeur
afin de démontrer que le processus d'élargissement est positif et
non discriminatoire et que pour l'Union il signifie l'agrandissement
de l'espace de stabilité qui ne se limiterait pas aux seuls pays
membres futurs mais couvrirait la région entière.
|