La réflexion sur les objectifs politiques et les moyens de sécurité
de l'Europe unie, à laquelle les Etats membres se consacrent aujourd'hui
après quarante ans d'expérience dans la construction européenne,
concerne directement les pays candidats d'Europe centrale et orientale.
Cela non seulement parce que le renforcement de la sécurité de l'Union
est censé accélérer le processus d'élargissement, mais également
parce que ces pays sont en partie à l'origine de cette réflexion.
Je veux dire par là que l'émergence en 1989 des nouvelles démocraties
d'Europe centrale et orientale a motivé davantage les Communautés
Européennes à doter d'une cohésion en matière de politique extérieure
qui, se trouvait en léger retrait au regard de l'urgence de la construction
du marché commun.
En effet, "entrer en Europe" fut, en Roumanie comme dans les autres
pays d'Europe centrale et orientale, le programme politique le plus
important et le plus urgent de l'après-communisme. Je dis bien programme
politique. Car, pour nous à l'époque, l'Europe représentait moins
le marché commun, avec ses règles et ses contraintes, ses heurts
et malheurs, mais plutôt un projet politique et intellectuel. Les
Douze constituaient à nos yeux un vaste territoire de liberté, le
berceau de la démocratie, un foyer de culture.
Tout ceci, nous le croyons encore.
Mais ces huit dernières années nous avons appris bien d'autres choses.
Nous savons aujourd'hui que l'Europe unie n'est pas seulement une
liberté qui rayonne et une culture qui resplendit. C'est aussi et
surtout une discipline. Une discipline dans l'activité économique
et dans l'action sociale. Une discipline qui s'exprime à travers
le langage hautement formalisé du Droit.
Il y a bientôt cinq ans, la Roumanie a signé l'accord d'association
et depuis plus de trois ans il est bien mis en œuvre. Au lendemain
des élections de novembre 1996, nous avons convenu que le temps
des déclarations d'intention et des beaux discours sur notre volonté
de rejoindre l'Europe était passé et qu'il fallait notamment redoubler
d'efforts et accélérer le travail. Un travail soutenu sur nos lois,
nos institutions, notre environnement, un travail sur nos entreprises,
sur l'emploi sur les structures de notre économie. Cet effort, accepté
et assumé par tous - parlement, gouvernement et partenaires sociaux
- est stratégiquement orienté vers l'accomplissement des critères
imposés par notre adhésion à l'Union.
Aux défis de l'intégration européenne nous avons répondu par le
programme de réforme lancé en février 1997 et reconduit en avril
1998, programme qui comporte notamment des exigences plus sévères
et des échéances plus brèves que celles proposées par l'accord d'association
lui-même. Voilà les raisons pour lesquelles nous voulons et nous
allons faire cette réforme. Car c'est uniquement par cette voie
que nous pouvons consolider ce que nous avons déjà acquis et transférer
nos rapports avec l'Union Européenne du plan de l'assistance vers
celui de la coopération. En dépit de tous les risques qu'elle présente,
la réforme est notre seul moyen de voir dans notre adhésion à l'Europe
unie un acte politique aussi mérité que nécessaire.
Une fois l'Agenda 2000 lancé sommes-nous, après Luxembourg, moins
confiants quant à nos perspectives d'adhésion ?
Si l'on prend en considération la sélection opérée parmi les Etats
candidats à l'intégration et une certaine réticence qui se fait
parfois sentir devant l'idée d'élargissement elle-même, ne risque-t-on
pas de mettre en cause la cohérence politique de l'Union et d'ajourner
la mise en place d'une véritable politique étrangère et de sécurité
commune ?
Je me dois, sur ce point, de rappeler très brièvement l'état de
la réflexion roumaine sur l'adhésion : une analyse fort attentive
portant sur les acquis démocratiques et économiques, la gestion
du montage juridique et réglementaire imposé par l'intégration et
l'accélération du rythme de la réforme institutionnelle et de la
déréglementation du marché.
Nous avons la conviction que ce qui compte vraiment dans une économie
n'est pas forcément le niveau de certains indices de performance
mais plutôt le caractère prévisible et rationnel de l'évolution
macro-économique et le dynamisme et la vigueur du tissu micro-économique
formé par les petites et moyennes entreprises. En évoquant de prévisibilité
et de rationalité économiques, ce n'est pas un simple voeu que nous
exprimons. Nos certitudes reposent sur des résultats qui ont déjà
été atteints, ainsi que sur une évaluation rigoureuse de la réforme,
faite avec le concours des organisations financières internationales,
évaluation à laquelle la Commission européenne a apporté une contribution
particulièrement importante.
Même si ces résultats constituent autant de signes encourageants,
ils ne nous font cependant pas oublier tout ce qui nous reste encore
à faire. Nous avons formulé nos objectifs de manière ferme et explicite
: avancer dans l'harmonisation législative, mener une politique
européenne plus active et plus systématique, coopérer avec plus
de suivi dans le domaine relatif au troisième pilier, valoriser
les actions initiées en Roumanie pour, d'une part, rétablir la confiance
publique dans l'autorité de la loi et de la justice et, d'autre
part, entraver la montée du crime organisé.
En outre, la Roumanie a d'ores et déjà apporté une contribution
significative au renforcement de la sécurité dans la région de l'Europe
centrale et du sud-est. L'idée de conclure des accords trilatéraux
entre des Etats autrefois séparés par de longs contentieux lui appartient.
Les accords trilatéraux entre la Roumanie, la Pologne et l'Ukraine,
la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine, la Roumanie, la Bulgarie
et la Grèce et, enfin, entre la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie
ont tissé, en moins d'une année, un réseau de confiance, de stabilité
et de coopération dans une région qui autrement serait menacée par
des conflits plongeant leurs racines dans une histoire compliquée
et qui à terme, mal contenus, éclaterait à nouveau.
En ce qui concerne la politique extérieure et de sécurité, la Roumanie
a déjà fait ses preuves. Lors de sa future intégration elle sera
donc prête à assumer ses responsabilités au sein de l'Union. Elle
pourra apporter une expérience et un sens de l'engagement susceptibles
de renforcer et de rendre plus efficace la politique européenne
commune.
Ceci étant, il me semble que l'élargissement de l'Union Européenne
devrait être en mesure de confirmer - au-delà de toute considération
de coût et de toute expertise bureaucratique - le sens de la construction
d'une Europe unie telle qu'elle a été commencée après la guerre
et qu'elle s'est poursuivie depuis. Dans cette perspective, l'élargissement
à l'Est serait essentiellement un choix politique, l'expression
d'une identité commune enfin retrouvée.
Même si l'acier ou la monnaie font eux aussi partie de la construction
européenne, l'Europe unie est essentiellement l'œuvre de ses nations
libres, déterminées à mettre en commun une longue expérience historique
et à vivre ensemble leur identité propre, fondée sur les valeurs
civiques. Cette identité européenne partagée, née grâce aux identités
nationales des pays européens, n'a pas le droit d'exclure.
Sinon, elle risque de se contredire.
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