Préparer concrètement un groupe industriel multinational et ses
nombreuses filiales à l'introduction de l'euro au 1er janvier 1999
n'est pas chose aisée. Dès le début 1996, le groupe Saint-Gobain,
dont le chiffre d'affaires s'élève pour la seule Europe à plus de
60 milliards de F, a décidé de créer une équipe de projet chargée
de prévoir et d'assurer l'introduction de l'euro. Il est apparu
au groupe que la préparation anticipée à l'euro constituerait non
seulement un avantage compétitif mais qu'elle était aussi, tout
simplement, une nécessité compte tenu de sa complexité.
Avant même d'aborder les questions pratiques liées à la mise en
œuvre de ce projet, l'équipe a dû constater que trois difficultés
préliminaires compliquaient la tâche : l'absence de précédent, l'existence
d'une phase transitoire longue (1999-2002) et l'incertitude politique
alors perceptible sur la réalité de l'introduction de l'euro.
Au-delà de ce constat plutôt négatif, Saint-Gobain a très vite été
convaincu qu'avec l'euro, l'environnement économique allait être
profondément modifié :
- Les dévaluations ne pourront plus être utilisées comme facteur
de rattrapage des retards de compétitivité.
- La comparabilité des coûts sera aussi un avantage indéniable.
Elle constituera un facteur de productivité, puisque les différences
dans ce domaine se trouvent aujourd'hui cachées du fait même qu'il
est difficile et imprécis de les évaluer d'un pays à l'autre. L'euro
introduira plus de transparence, donc plus de stimulation, entre
les pays.
- La comparabilité des prix est un avantage de la même veine, qui
induira plus de concurrence et favorisera les flux commerciaux.
- Au plan de la gestion financière, l'euro créera un marché plus
vaste, à la fois pour les actions et les produits de taux. Les investisseurs
ne craindront plus de passer les frontières puisque le risque de
change aura disparu.
- Enfin, il est probable que l'euro sera la source de rationalisations
"administratives" en incitant à une gestion plus efficace des fonctions
centralisées.
Au total, l'euro sera structurant, simplificateur, source d'économies
et de développement.
Dans un premier temps, la conduite du projet a été une responsabilité
de la Compagnie de Saint-Gobain elle-même. La raison principale
en est que la phase initiale relevait plus d'un recensement ou d'une
définition que d'un travail de mise en œuvre. Mais l'une des tâches
essentielles du projet a été de faire appréhender le sujet de l'euro
par les unités de gestion décentralisées afin qu'elles se l'approprient.
Il n'était pas concevable que l'ensemble des actions à mener soient
définies, et encore moins mises en place par les techniciens du
siège.
D'où l'impératif de décentralisation : le Groupe a donc mis en place,
au début de l'année 1997, des structures de projet par métier et
par pays. Celles-ci reproduisent l'organisation générale matricielle
de Saint-Gobain. L'action de ces structures est coordonnée et suivie
par la Compagnie, avec un rôle d'impulsion et de conseil plus que
de direction.
Le Groupe a souhaité lancer les travaux le plus tôt possible. Il
y a toujours, dans cette matière, des risques de dérapage dans les
plannings de réalisation qu'il faut anticiper. Au fil des mois,
on constate que la plus grande difficulté réside dans le maintien
du rythme de travail. L'introduction de l'euro apparaissant assez
lointaine aux hommes de terrain, la dynamique de mise en place a,
bien naturellement, tendance à s'émousser. C'est d'ailleurs là que
le nombre même de filiales concernées pose problème.
Sur le plan pratique, les systèmes d'information sont apparus comme
déterminants dans la conduite du projet. Les aspects informatiques
constituent un domaine où les synergies du groupe sont limitées,
du fait de la multiplicité des logiciels et des matériels. Pour
pallier cette faiblesse, la Compagnie a donc défini une méthode,
utilisable par toutes les filiales, afin de les aider à aborder
l'ensemble des questions informatiques liées à l'euro.
S'agissant de la date d'introduction de l'euro, le groupe a été
amené à opérer une distinction entre les compte sociaux des filiales
et les comptes consolidés de la société. Ces derniers seront exprimés
en euro dès le 1er janvier 1999, et toute la communication financière
se fera naturellement en euro. Ceci n'est pas seulement dicté par
un effet d'image. La conversion des marchés d'actions en euro dès
le début de la période transitoire impose en réalité cette décision.
Quant aux filiales, elle sont invitées au basculement aussi tôt
que possible compte tenu de leur contraintes de marché. Ce régime
de liberté est toutefois contrôlé. Sauf motif impératif, tous les
comptes sociaux des filiales devront être exprimés en euro une année
avant la fin de la période transitoire, c'est-à-dire au 1er janvier
2001. Cette année d'anticipation garantira que, à la date de fin
de période transitoire, toutes les sociétés seront prêtes.
Voilà donc un projet globalement lourd à mener. Avec le recul de
près de deux ans, on prend bien la mesure des progrès réalisés et
des efforts qui restent à fournir. Le Groupe sera prêt à l'échéance.
Mais l'aide la plus efficace que le projet pouvait trouver, c'est
bien la certitude de cette échéance : les filiales, pressées par
la nécessité, se mettent donc en position d'une introduction à la
date qui leur convient ainsi que dans les créneaux, légaux ou du
Groupe, qui leur sont imposés. Toutes n'ont peut-être pas encore
pleinement pris la mesure de l'opportunité historique que l'euro
constituera, à terme, pour leur développement. Mais l'avenir le
leur montrera.
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