Le passage à l'euro à la date prévue -janvier 1999- est désormais
une certitude. Onze pays vont être qualifiés (dont l'Espagne, le
Portugal et l'Italie), trois préfèrent rester pour l'instant à l'écart
même s'ils respectent grosso modo les critères de convergence (Royaume-Uni,
Suède, Danemark) et seule la Grèce va être vraiment "collée" à l'examen.
C'est dans ce contexte que la Banque centrale européenne (BCE) va
être créée en juillet 1998, avant même le lancement officiel de
la monnaie unique. Les pérégrinations malencontreuses à propos de
la désignation de son président ne doivent masquer ni les progrès
accomplis, ni l'ampleur des défis encore posés. L'objet de cet article
est d'aborder quelques points d'ancrage mais aussi quelques thèmes
en débat concernant la très prochaine politique monétaire européenne,
avant de souligner la nécessité pour celle-ci d'être pragmatique.
Des points fixes
Le traité de Maastricht est clair, l'objectif principal du Système
européen de banques centrales (BCE et banques centrales nationales)
est "de maintenir la stabilité des prix" (article 105). Ceci dit,
nous allons entrer dans l'euro sans réelle menace inflationniste
à court terme en Europe continentale, ce qui pourrait permettre
à la BCE de ne pas négliger les conditions économiques générales
(croissance, investissement, emploi...) tout en restant, bien sûr,
vigilante sur la stabilité des prix.
Pour réaliser son objectif principal de stabilité monétaire, la
BCE va pouvoir compter sur le même type d'instruments que ceux aujourd'hui
employés par la Banque de France, la Bundesbank, etc. Des instruments
qui seront désormais appliqués à l'échelle de la zone euro, avec
des marchés de capitaux totalement intégrés dans cette zone.
La BCE sera indépendante des autorités politiques communautaires
et nationales, et il faudra veiller scrupuleusement au respect de
cette disposition du traité. Mais une banque centrale, justement
parce qu'elle est indépendante, doit pouvoir compter sur une coordination
avec les politiques budgétaires nationales afin d'assurer un policy
mix (combinaison entre la politique monétaire et les politiques
budgétaires) cohérent et efficace. C'est aussi dans cette optique
qu'il faut interpréter l'application, dès 1999, du pacte de stabilité
et la concertation des politiques économiques en général, des politiques
budgétaires en particulier via le Conseil de l'euro.
Des aspects en débat
J'en donne deux exemples, spécialement importants.
Le premier concerne la politique de change. L'article 111 (ex-article
109) donne compétence au Conseil, c'est-à-dire à l'autorité politique,
pour modifier éventuellement le régime de change entre l'euro et
les devises non communautaires (dollar, yen...). Mais la BCE est
compétente pour la gestion au jour le jour de l'euro dans ses relations
avec le dollar et les autres devises en dehors de l'Union européenne
(UE).
Doit-il justement s'agir d'une "gestion" ? Vu l'importance des échanges
intra-UE, la zone euro à 11 pays va avoir un coefficient d'ouverture
proche de 12 % au démarrage, donc très inférieur à celui de chacun
des pays membres et proche du coefficient américain. Dans ce contexte,
la BCE pourrait ne pas trop se focaliser sur la valeur externe tant
qu'elle restera à l'intérieur d'une plage assez large. Dès que cette
plage sera attente, autrement dit dès qu'il faudra corriger une
surévaluation ou bien une sous-évaluation de l'euro devenue excessive,
la BCE devra, d'une façon ou d'une autre, intervenir.
Un deuxième point en débat se rapporte à la responsabilité ("accountability")
de la BCE. Une banque centrale indépendante doit veiller à expliquer
sa politique, à communiquer avec son environnement, à rendre des
comptes à l'opinion publique directement ou indirectement (via le
Parlement). Le traité de Maastricht a mis en place certaines procédures
facilitant l'échange d'informations et de vues entre la BCE, la
Conseil, le Parlement européen, etc. Il faut aller plus loin, en
s'inspirant en particulier de ce qui existe aux Etats-Unis pour
le système de responsabilité de la Réserve fédérale américaine.
Je suis en particulier partisan d'une publication systématique -et
non pas facultative comme prévu dans l'article 10.4 du protocole
sur le SEBC- des délibérations du conseil des gouverneurs de la
BCE, avec, comme aux Etats-Unis, quelques semaines de retard pour
ne pas perturber les marchés financiers. En outre, il serait bon
de mieux expliciter les procédures par lesquelles la BCE et son
président seront amenés à rendre compte de leur politique devant
le Parlement européen.
Pour une politique monétaire européenne pragmatique
A court terme, et sans préjuger de la situation dans trois ou cinq
ans, le défi n° 1 dans les pays membres de l'euro va rester le chômage
plus que l'inflation. Voilà pourquoi la BCE pourra, si elle le veut
vraiment, se comporter comme la Réserve fédérale américaine : se
soucier avant tout du maintien de la stabilité des prix, mais à
l'intérieur de ce cadre, opérer de manière pragmatique des ajustements
dans les instruments pour contribuer à améliorer la situation économique
générale.
Comme le dollar américain depuis cinquante ans, l'euro sera fort
(surévalué) à certains moments, faible (sous-évalué) à d'autres.
Le problème n'est pas là ; il est plutôt pour la BCE de façonner
un euro crédible, utilisé non seulement dans la zone de la monnaie
unique mais aussi assez largement en dehors. C'est à l'aune de la
crédibilité de l'euro que la politique monétaire mise en œuvre par
la BCE va être jugée dans la durée.
Bibliographie
- "Les mutations de l'économie française" - sous la direction
de Ch. de Boissieu - Economica, 1997.
- "Fiscal Policy, Taxation and Financial System in an increasingly
integrated Europe" - ouvrage co-édité avec D. Fair - Kluwers
Publication, 1992.
- "Prospective financière : Banques, Assurances, marchés",
Rapport du groupe Prospective Financière et Bancaire, Commissariat
Général du Plan, ouvrage réalisé sous la direction de Ch. de Boissieu,
éditions La Documentation Française, septembre 1992.
- "Monnaie unique européenne, système monétaire international
: vers quelles ambitions ?" - ouvrage co-édité avec D. Lebègue
-, Presses Universitaires de France, 1990.
- "Banking in France" - édité par Ch. de Boissieu -, Routledge,
Londres, 1990.
- "Financial Institutions in Euroe under New Cometitive Conditions"
- ouvrage co-édité avec D. Fair - Kluwers Publication, 1990.
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