L'introduction de l'Euro nous y conduit indubitablement. Avec la
monnaie unique, il devient plus nécessaire que jamais de s'entendre
très étroitement sur les questions non seulement d'ordre économique
mais également socio-politique, c'est-à-dire sur l'organisation
future de la société européenne. Jacques Delors appelle cela " le
modèle européen de société ", dont la meilleure traduction en allemand
est " l'économie sociale de marché ".
C'est ici que débute le malentendu dans le dialogue franco-allemand
pourtant capital pour la construction européenne. Les Allemands
tout comme les Français peuvent à juste titre déclarer: " Mais nous
l'avons déjà! ". En effet, les deux pays disposent déjà largement
d'une économie de marché et d'un système très étendu de protection
sociale ainsi que d'un dialogue continu entre partenaires sociaux.
Cependant ces deux systèmes demeurent distincts.
Liens historiques et interdépendance européenne
Les économies et les systèmes sociaux ont évolué au cours des siècles
et n'ont pas perdu leurs particularités en dépit de l'avènement
de l'interdépendance du marché unique européen et des structures
politiques qu'ils se sont données. Néanmoins ces Etats ont perdu
leur autonomie nationale. En effet, ni l'Allemagne, ni la France
ne pourraient impunément adopter une politique économique et sociale
autonome, qui serait en désaccord avec l'évolution générale de l'Europe.
Le domaine sensible des relations franco-allemandes, qui requiert
de la clarté, est le produit des relations difficiles entre pressions
politiques internes, compréhension par les politiciens de leur rôle
national et interdépendance européenne et mondiale.
Rôle de l'Etat
Traditionnellement, l'un des rôles de l'Etat est celui qu'il joue
sur le plan de la politique économique. En effet, jusqu'à quel point
les interventions étatiques doivent-elles et peuvent-elles relancer
l'économie, créer des emplois et réduire les risques sociaux? En
Europe aujourd'hui, le débat tourne autour du rôle futur de la Banque
Centrale et de ce que les Français nomment, à la grande inquiétude
des allemands, le gouvernement économique et social de l'Europe.
Comment va-t-on décider d'organiser ce dernier, si les institutions
de l'Union Européenne demeurent aussi faibles qu'auparavant?
Cependant le vieux cliché d'une France foncièrement étatique et
d'une Allemagne uniquement tournée vers l'économie de marché, n'est
plus valable. Pour s'en rendre compte, il suffit de se référer à
la proportion des subventions et des règlements publiques dans les
deux pays ainsi qu'à l'adaptation (partiellement plus rapide en
France) des politique monétaires et économiques aux contraintes
liées à la mondialisation.
Dans les deux pays, on doit trouver de nouveaux objectifs et manières
d'agir qui ne seront peut-être pas identiques mais synchronisés.
Crise de l'Etat Providence
Un chômage structurel élevé et un budget social déficitaire constituent
des réalités communes aux deux pays comme pour la plupart des autres
Etats de l'Union Européenne. Le sommet sur l'emploi de Luxembourg
et les rapports des Etats présentés actuellement pour combattre
le chômage font ressortir deux éléments: d'une part, la situation
telle qu'elle a duré ne peut pas se poursuivre et d'autre part,
une harmonisation des politiques sociales des différents Etats tout
comme un contrôle supranational de Bruxelles ne sont pas envisageables.
En effet, on ne peut réguler les conditions sociales aussi facilement
qu'on décide de la taille standard des tomates.
Rôle de la société civile
Au niveau local, de nouvelles approches résultent de tentatives
concrètes de lutte contre le chômage et contre l'exclusion sociale.
Pour que cet effort aboutisse à une cohésion sociale, toutes les
forces en présence doivent agir ensembles: l'économie, les communes,
les régions, les politiques nationales et européennes et plus particulièrement
les citoyens eux-mêmes. Il faut sortir de l'état d'esprit d'exigences
passives et participer concrètement à l'aménagement de l'environnement
économique, social et culturel. Cela requiert une modification partielle
du cadre existant dans les deux pays et à l'échelle européenne.
A la base, un modèle européen de société dans le respect des conditions
d'interdépendance mondiale et de la concurrence régnant au sein
de l'économie sociale de marché doit renaître. Avant que les gouvernements
et les eurocrates ne définissent les avancées nécessaires, les individus
des deux sociétés doivent accepter et faire progresser cette image
d'un avenir commun afin qu'elle corresponde à leurs traditions respectives
et qu'elle soit adaptée à l'interdépendance européenne.
C'est à cela qu'il faut s'attacher pour la compréhension franco-allemande.
L'Institut franco-allemand prend la responsabilité de s'y atteler.
Traduction Forum
Bibliographie
- "Fremde Freunde. Deutsche und Franzosen vor dem 21. Jahrhundert"
(dir) - 1997.
- "Au jardin des malentendus, le commerce franco-allemand
des idées" (dir avec J. Leenhardt) - Acte Sud 1997.
- "Handeln für Europa. Deutsch-Französische Zusammenarbeit in
einerveränderten Welt" - 1995.
- "L'identité europénne. Analyses et propositions pour le renforcement
d'uneEurope pluraliste" - 1994.
- "European societies between diversity and convergence"
- 1993.
- "De Gaulle, Deutschland und Europa" - 1991.
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