Choix de
la langue et pouvoir
"Langlais,
langue véhiculaire à Cannes", tel était le
titre dun article du Time-Magazin du 22 mai 2000. Il y est
question du film Vatel : "Même cette histoire purement gauloise,
présentée en ouverture de la très célèbre
manifestation culturelle française, est en anglais". À
propos de la vedette du film, larticle ajoute : "Au 53ème
festival du film de Cannes, Depardieu peut répondre en français
aux questions des journalistes, mais dans Vatel il doit se prosterner
devant les dieux du commerce international et essayer de parler
anglais". La métaphore "être obligé de se prosterner"
implique quune contrainte sexerce. On force quelquun
à parler une autre langue que celle qui lui convient. Mais
il est bien évident que ce nest pas la langue elle-même
qui exerce cette contrainte, mais la puissance qui est derrière
: le commerce international. Sous-entendu : cest lui qui oblige
tous ceux qui veulent y jouer un rôle à parler la langue
qui lui convient. Qualifier une langue quelconque de puissance en
soi ne peut que nous induire en erreur, du moins dans ce type de
situation. Regardons dautres exemples, en particulier ceux
qui ont contribué à lascension de langlais
au rang de langue internationale. [
]
1. Jusquà
la première guerre mondiale, le français était
la langue dominante de la diplomatie internationale. Lors des négociations
du traité de Versailles, les Français eurent la désagréable
surprise de voir que les Américains et les Britanniques se
servaient de langlais. Ils se justifièrent tout dabord
en invoquant la mauvaise connaissance du français du président
américain Woodrow Wilson, avant dasséner largument
de poids : la guerre navait été gagnée
que grâce à laide américaine. Les Américains
et les Britanniques imposèrent langlais comme seconde
langue officielle de négociations contre la résistance
des Français. Leur succès devait avoir des conséquences
de grande portée. Cest ainsi que langlais devint
non seulement la langue du traité de Versailles, mais aussi
langue officielle de la Société des Nations issue
du traité de paix. Le français conserva bien un statut
dégalité, mais perdit sa suprématie jusqualors
incontestée. Il est clair que le pouvoir à la base
de ce changement de statut nétait pas à chercher
dans la langue elle-même, mais dans les armes américaines
ou chez le peuple américain qui les avait produites. [
]
2. Il est moins
aisé de mettre au jour le fondement du pouvoir qui fait que
les groupes allemands opérant au niveau international se
voient "contraints" dadopter langlais parmi leurs langues
de travail. À première vue il ny a pas de maîtres
qui dictent leur loi, ni de vainqueurs triomphants. Lissue
de la seconde guerre mondiale ne fournit pas lexplication
de cette contrainte pour les multinationales allemandes, vu que
des groupes français, ou plus récemment russes, y
sont également soumis : eux non plus ne peuvent éviter
dintroduire langlais comme langue officielle ou, quoi
que disent les statuts officiels, comme langue de travail. En fait,
cest cette même puissance devant laquelle Depardieu
a dû sincliner qui est ici à luvre.
Cest le marché anglophone, la puissance économique
anglophone qui surpasse celles des autres pays, quelle quen
soit la langue. Quiconque veut jouer un rôle sur ce marché
doit utiliser langlais. Les pays anglophones sont en revanche
moins dépendants du marché constitué par les
autres communautés linguistiques, lequel est dans tous les
cas moins importants que le leur. Dès lors, est-ce la langue
qui constitue une puissance ? Non. Cest limportance
de la communauté linguistique, ou plus précisément
sa puissance économique, laquelle apparaît clairement
si on se livre à une comparaison.
Importance
et puissance économique de la communauté anglophone
Comparer la
communauté anglophone à dautres communautés
linguistiques (en tant quensemble des locuteurs) nest
pas toujours simple. Les comparaisons au niveau mondial du nombre
de locuteurs se fondent nécessairement en partie sur des
sources douteuses. On ne peut quespérer que de toutes
les indications de diverses provenances se dégage du moins
une tendance fiable. Ainsi des sources de nature diverse se recoupent
pour prouver que les locuteurs natifs anglophones ne constituent
pas de loin la première communauté linguistique, mais
sont largement dépassés par le chinois. Ce résultat
est valable pour différentes définitions de la langue
maternelle, quon entende par là la première
langue apprise par lindividu ou celle quil désigne
comme sa "langue maternelle" lors denquêtes. Pour le
chinois, les chiffres indiquent un milliard de locuteurs, alors
que langlais nen compte que 350 à 450 millions.
Dautres langues comme le hindi (ou hindi-urdu) et lespagnol
ont à peu près autant de locuteurs natifs que langlais.
[
]
Dans les recensements
qui prennent en compte les locuteurs étrangers, il est souvent
malaisé de distinguer entre les personnes qui peuvent véritablement
communiquer dans la langue et ceux qui lont apprise dune
façon ou dune autre mais ne la maîtrisent nullement.
Face à cette difficulté détablir une
distinction claire entre locuteurs réels et simples apprenants,
David Crystal fixe le chiffre total des anglophones, locuteurs natifs
ou non, à lintérieur dune fourchette dont
les extrémités vont de 670 millions à 1,8 milliards.
Ce chiffre est fréquemment arrondi à 1,5 milliards,
ce qui représente bon gré mal gré un quart
de la population mondiale, cest-à-dire bien plus que
le nombre total de locuteurs de nimporte quelle autre langue.
Pour lallemand par exemple, le nombre total des locuteurs
est compris entre 137 et 267 millions, compte tenu du fait que le
chiffre le plus élevé comprend aussi les personnes
qui ont à un moment donné appris lallemand.
Langlais
dispose donc du plus grand "potentiel de communication" de toutes
les langues. Il est également à noter que les locuteurs
natifs sont largement dépassés par ceux dont langlais
nest pas la langue maternelle. Ce nest le cas pour aucune
autre langue "naturelle", mais seulement pour des langues artificielles
comme lespéranto. Le simple nombre de locuteurs ne
révèle quimparfaitement la puissance réelle
de la communauté anglophone. Il faut de plus tenir compte
du fait quelle réunit une plus grande puissance économique
que toute autre communauté linguistique. Les locuteurs ayant
langlais pour deuxième langue maternelle ou première
langue étrangère font fréquemment partie de
lélite, surtout dans les pays non anglophones. Les
personnes qui maîtrisent une autre langue sont souvent des
privilégiés, et des chiffres précédents
il ressort que dans la plupart des cas, toutes nations confondues,
cette langue nest autre que langlais.
Mais cest
chez ses locuteurs natifs que la communauté anglophone manifeste
le plus clairement sa puissance économique. Bien que leur
nombre ne dépasse aucunement celui des autres langues, ils
disposent dune puissance économique bien supérieure
à celles des locuteurs de toute autre langue. On peut le
mesurer en prenant le produit intérieur brut. On peut additionner
le PIB pour tous les pays du monde, pour les pays multilingues proportionnellement
au nombre de locuteurs des différentes communautés
linguistiques. Jai ainsi calculé les rapports suivants
entre la puissance économique des locuteurs des plus grandes
langues : anglais 4,27, japonais 1,28, allemand 1,09, russe 0,80,
espagnol 0,74, français 0,67, chinois 0,45. Les chiffres
ainsi obtenus pour la période de 1990 représentent
des sommes en billions de dollars américains ; mais ce sont
les rapports qui sont intéressants. Ils montrent que langlais
dépasse plusieurs fois les langues qui se classent immédiatement
après : il est trois fois supérieur au japonais, quatre
fois à lallemand et presque 10 fois au chinois qui
le précède immédiatement en nombre de locuteurs.
Depuis, lécart entre langlais et les langues
qui se classent immédiatement après a encore augmenté
en raison des disparités de leur croissance économique.
Cest la puissance économique considérable des
anglophones de langue maternelle ou non qui constitue le fondement
de la puissance économique de la langue.
On trouve un
autre indicateur significatif de la position des langues dans le
monde dans le nombre des pays où elles ont le statut de langue
officielle. On peut ainsi mesurer leur poids dans la diplomatie
internationale ; car les rapports avec les différents pays
se font dans leur langue officielle. La position des langues au
sein des organisations internationales en dépend également.
Des six langues officielles des nations Unies, quatre sont également
les langues qui ont un statut officiel dans le plus grand nombre
de pays, à savoir langlais, le français, larabe
et lespagnol ; le russe et le chinois constituent des exceptions
puisque cest limportance et le poids politique des pays
dorigine qui fut déterminant pour leur statut de langue
officielle aux Nations Unies. Il est clair en revanche que le "statut
de langue officielle dans un pays" peut recouvrir des réalités
différentes. Il faut distinguer en particulier entre un statut
reconnu, fixé par exemple dans la constitution, et un statut
de fait. Les indicateurs déterminants sont lutilisation
de la langue dans le travail du gouvernement, au parlement ou dans
ladministration. Au sens strict du terme, langlais est
la langue officielle dau moins 48 pays, suivi du français
(27), de larabe (23) et de lespagnol (20). Dans une
acception plus large, langlais a un statut officiel dans pas
moins de 112 "territoires", suivi du français avec 54. Quelle
que soit la définition retenue, selon ce paramètre
cest de nouveau langlais qui domine nettement toutes
les autres langues.
La fonction
de langue véhiculaire
mondiale
Langlais
est langue officielle et langue de travail dans toutes les organisations
mondiales et dans la plupart des organisations internationales,
sauf lorsquelles se limitent à des groupes de pays
ou à des régions déterminées comme les
Etats de la CEI, ce qui en fait la langue universellement utilisable
de la diplomatie. Le président américain ou le Premier
ministre britannique nont pas besoin dinterprète
pour les contacts diplomatiques ou les déplacements à
létranger. À la différence des hommes
politiques allemands par exemple, ils peuvent toujours mener les
négociations dans leur langue maternelle. Si leurs partenaires
étrangers ne maîtrisent pas la langue de la diplomatie,
cest à eux de fournir des interprètes.
De la même
façon, langlais est la langue généralement
dominante du monde des affaires ainsi que la langue officielle de
toutes les multinationales. Quiconque ne dispose pas de solides
connaissances en anglais ne peut espérer jouer un rôle
à léchelon mondial. Les groupes internationaux
allemands sont profondément marqués par cette expérience.
Cest pourquoi il arrive constamment que les représentants
de leurs filiales à létranger insistent auprès
des candidats à un emploi sur limportance essentielle
des connaissances en anglais, quand ils ne qualifient pas lallemand
de superflu. Cette prise de position dun représentant
de Siemens en Corée du Sud a été ressentie
par les germanistes et professeurs dallemand du pays comme
une menace sur leur existence. On voit là à luvre
un des mécanismes par lesquels langlais supplante les
autres langues sur la scène internationale. [
]
Quelle que
soit leur origine linguistique, les scientifiques doivent être
prêts à parler anglais dans les congrès internationaux
et à publier en anglais sils veulent être reconnus
hors de leur communauté linguistique. Des langues comme le
français ou lespagnol ont fréquemment un statut
officiel dans les congrès internationaux à côté
de langlais, mais leurs utilisateurs se voient généralement
relégués dans des cercles écartés. Dans
ces circonstances, il nest que logique que même les
pays non anglophones commencent à introduire langlais
dans lenseignement universitaire. Cette tendance apparaît
même dans les bastions que lon croyait les plus anglophobes
comme la France. LAllemagne aussi offre depuis la rentrée
de 1997 des "cursus internationaux" en anglais, qui en 2000 étaient
présents dans 60 universités. Les pays non anglophones
se voient contraints à cette démarche entre autres
pour attirer le nombre souhaité détudiants étrangers
qui constituent un atout inestimable pour les futurs contacts internationaux.
Dans le monde entier, les personnes qui entament des études
parlent anglais, mais rarement dautres langues, et ils ne
sont pas toujours disposés à apprendre une autre langue
étrangère pour pouvoir effectuer leurs études.
[
]
Le sociologue
néerlandais Abram de Swaan a souligné que dans le
contexte de la domination de langlais en tant que langue véhiculaire,
les langues constituent des "biens hypercollectifs". Ces biens hypercollectifs
ne sont pas seulement la propriété de collectivités,
mais celles-ci cherchent en outre à étendre leur utilisation
à des collectivités toujours plus vastes. La valeur
des biens hypercollectifs augmente pour leurs possesseurs avec leur
diffusion. Dans le cas des langues, cest le "potentiel de
communication" qui saccroît ainsi, cest-à-dire
le nombre de personnes avec lesquelles ils peuvent ainsi entrer
en contact et létendue de leur utilisation comme moyen
de communication et daction. Cest pourquoi les communautés
ont en règle générale intérêt
à ce que le plus grand nombre possible de personnes adoptent
leur langue. Lexemple de la communication dans les sciences
et les médias montre bien que lappartenance à
une communauté linguistique plus importante offre des avantages
matériels certains.
Cependant,
il ne faut pas non plus perdre de vue les avantages immatériels,
en particulier en ce qui concerne la communication. Les membres
de la communauté anglophone peuvent presque toujours se servir
de leur langue maternelle pour les contacts internationaux, les
membres des autres grandes communautés linguistiques parfois,
tandis que les membres des petites communautés linguistiques
sont toujours contraints de recourir à une langue étrangère.
Le psycholinguiste suisse Claude Piron a constaté dans des
études approfondies que lors de contacts entre locuteurs
natifs et ceux qui parlent une langue autre que leur langue maternelle,
les premiers se sentent plus à laise en parlant que
les seconds. Cette différence daisance a plusieurs
causes : leffort cognitif moins important lors de lutilisation
de sa propre langue, le lien émotionnel plus étroit
quon entretient avec elle, et la conscience instinctive dune
plus grande richesse dexpression ainsi que dune plus
grande efficacité du discours. De tous ces points de vue,
les locuteurs natifs sont avantagés par rapport aux autres.
Tous ces avantages sadditionnent chez les anglophones, puisque
langlais est le plus fréquemment employé de
façon asymétrique. Ces avantages leur échoient
semble-t-il par la force des circonstances. En réalité,
cest la puissance de la communauté anglophone qui contraint
les autres locuteurs à choisir langlais lors de contacts.
[
]
Rien nindique
que langlais puisse perdre son rôle de langue dominante
dans un avenir proche. En revanche, il est possible quà
long terme les autres communautés linguistiques parviennent
à ce que ce ne soient plus seulement les locuteurs natifs
qui déterminent les normes de cette langue. Une campagne
linguistique de grande envergure en faveur des non anglophones qui
sont de plus en plus importants en nombre pourrait conduire à
une reconnaissance à égalité des variantes
de langlais parlé par des non anglophones. En fin de
compte, il faudrait peut-être même rebaptiser la langue
en "mondialais".
Langlais
détruit-il les autres langues ?
Chez les linguistes,
cest un thème récurrent de proclamer que la
majeure partie des 6000 langues actuellement parlées dans
le monde vont cesser dêtre utilisées dans les
prochaines décennies. On parle généralement
de "mort des langues", mais lanalogie quelle implique
avec les organismes naturels ne convient pas forcément à
une évaluation correcte du phénomène. Les linguistes
saccordent du moins à reconnaître que la disparition
des petites langues (parlées par de petites communautés)
nest pas la conséquence immédiate de lexpansion
de langlais. Dans la plupart des cas, leurs locuteurs passent
à la langue immédiatement supérieure plutôt
quà la langue mondiale. Ainsi les Frisons du Saterland
ou les Sorbes adoptent lallemand, les Bretons le français,
les locuteurs du ladin (une variante du romanche parlée en
Engadine) lallemand ou litalien. Langlais exerce
toutefois une influence indirecte. Dans la mesure où il doit
de plus en plus être appris en sus de la langue immédiatement
supérieure, il devient nécessaire dêtre
trilingue (parler par exemple sorbe, allemand et anglais) ; cela
peut constituer une surcharge cognitive, de sorte que cest
la langue la moins importante du point de vue des locuteurs qui
va être abandonnée.
Il est hors
de doute que langlais envahit de plus en plus les régions
et domaines des autres langues. Les plus directement touchées
sont les langues immédiatement subordonnées à
langlais, dont plusieurs sont également enseignées
dans le monde entier. Lancien ministre français de
lEducation et de la Recherche Claude Allègre a ainsi
affirmé en 1999 : "Langlais ne doit plus être
une langue étrangère". En Allemagne comme au Japon
on trouve des groupements dintérêt qui réclament
publiquement que langlais soit élevé au rang
de deuxième langue officielle à côté
des langues autochtones, le japonais ou lallemand. Leur objectif
principal est daméliorer durablement les connaissances
en anglais de la population. Cest également à
cela que tendent les efforts plus ou moins poussés selon
les pays pour établir langlais comme matière
obligatoire dès lécole primaire.
Cette évolution
contribue dau moins deux façons au recul des langues
autochtones. Dune part elle réduit le besoin de posséder
des connaissances dans ces langues dans le monde entier et par là
la motivation pour continuer à les apprendre, étant
donné quon peut de plus en plus avoir des contacts
avec ces communautés linguistiques en anglais. La connaissance
de ces langues nest plus nécessaire dans une mesure
croissante que pour des objectifs particuliers comme létude
de lhistoire et de la culture des communautés concernées,
ou peut-être, dans les cas où la concurrence est forte,
pour conquérir leur marché, ce qui est plus aisé
dans la langue autochtone que dans une langue étrangère.
Ce sont principalement les pays francophones et germanophones qui
sentent que la demande denseignement de leurs langues diminue
sensiblement dans de nombreux pays. Dautre part, toutes les
autres langues sont influencées dans leurs structures par
langlais : dans le lexique, les règles (phonétique,
orthographe, grammaire), et les usages. Les effets de cette évolution,
en particulier les emprunts massifs à langlais trouvent
leur expression dans des termes critiques comme "franglais", "japlish"
ou "denglish", qui suggèrent de façon polémique
le métissage des deux langues. Jusqualors dans les
cas évoqués, la structure de la langue na subi
que de modestes modifications et na pas été
détruite comme ce serait le cas pour un réel mélange
des langues.
Cette question
de la destruction de la langue fait lobjet dun débat
dans la plupart des pays dont les langues sont concernées.
En Allemagne, en simplifiant, ce débat est organisé
autour de deux associations. La thèse de la destruction de
la langue allemande par les emprunts massifs à langlais
jusquau mélange des langues est défendue, dailleurs
avec un grand retentissement médiatique, par lAssociation
pour la langue allemande ("Verein Deutsche Sprache"), fondée
en 1997, dont le siège est à Dortmund. La majorité
de ses membres ne sont pas des linguistes professionnels, mais ils
font preuve dun engagement politique considérable.
La thèse adverse selon laquelle la langue allemande nest
pas menacée dans sa substance par les emprunts est défendue
par la Société de la langue allemande ("Gesellschaft
für deutsche Sprache"), qui siège à Wiesbaden.
Pour plus de détails sur leurs points de vue, on peut consulter
leurs sites(1). LAssociation pour la Langue allemande fonde
son argumentation sur les analyses du journaliste Dieter E. Zimmer,
qui a résumé la menace qui plane sur lallemand
dans une formule-choc selon laquelle le " code profond" de la langue
serait en train de se dissoudre. Il étaye sa thèse
dune menace de lallemand à laide de nombreux
exemples de termes qui ont reculé au profit des anglicismes
ou dont le sens a été modifié, ainsi quen
faisant la démonstration que lallemand a moins bien
su que dautres langues intégrer dans ses structures
la terminologie informatique moderne. À linverse, les
représentants de la Société de la langue allemande
dont largumentation est plus rigoureuse et plus scientifique
insistent sur limprécision de fait incontestable
de la notion de "code profond" ou rappellent que les mots
empruntés à langlais se déclinent selon
les catégories allemandes.
Certes, les
objections apaisantes des linguistes sont justes : la structure
de la langue allemande est en gros intacte et nest pas immédiatement
menacée par les emprunts massifs à langlais.
Il est certain en revanche quils entraînent de nouvelles
irrégularités et rendent plus difficile lusage
correct de la langue. Il faut bien maîtriser langlais
pour utiliser à bon escient les nombreux néologismes.
Une nouvelle barrière linguistique sélève
alors entre les couches plus ou moins cultivées de la population,
analogue à celle que constituaient autrefois les latinismes
et hellénismes. Cependant, à la différence
de ceux-ci, les néologismes issus de langlais ne se
limitent pas au vocabulaire de la science et de la culture, mais
sont omniprésents dans le vocabulaire quotidien. Ainsi les
lapsus sont inévitables même dans des conversations
sur les sujets les plus banals. Il faudrait étudier si limpact
de ce problème sociolinguistique peut être atténué
par un assouplissement des normes linguistiques. Peut-être
faut-il en voir une anticipation dans la coquetterie de plus en
plus répandue à la télévision qui consiste
à faire des fautes de langue à la manière de
la présentatrice Verona Feldbusch(2).
Il ny
a aucune raison de croire que la pression des anglicismes sur des
langues comme lallemand ou le français va diminuer
à lavenir. Daprès ce quon sait au
contraire, il faut partir du principe sociolinguistique selon lequel
lorsquune langue jouissant dun grand prestige entre
en contact avec une langue jouissant dun prestige moindre,
cest cette dernière qui va le plus emprunter à
la première et non linverse. Dans ce processus, la
structure de la langue emprunteuse sadapte à celle
de la langue donneuse. Létendue de cette évolution
ne dépend pas seulement de la durée du contact, mais
aussi dautres circonstances telles que la fidélité
linguistique des locuteurs ou des mesures de prévention et
de politique linguistique. Lévolution actuelle est
moins déterminée par une directe de la communauté
anglophone que par la volonté des membres des autres communautés
linguistiques davoir part aux promesses du monde anglo-saxon
et au potentiel de communication de leur langue.
Traduction
Forum (TE)
(1) www.vwds.de;
www.geist.spacenet.de/gfds/verlag-Dhtml.
(2)
qui confond ou fait semblant de confondre fréquemment le
datif et l'accusatif des déclinaisons.
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