Lors des célébrations
du quarantième anniversaire de la République Fédérale
au printemps 1989, la nation "allemande" ne semblait plus rallier
les suffrages. La République de Bonn était, pour reprendre
la formule de Karl Dietrich Bracher, devenue lexemple même
dune "démocratie post-nationale" réussie fondée
sur le patriotisme de la Constitution. À peine quelques mois
après, avec la chute du mur de Berlin, ce consensus était
remis en cause de plus ouvertement par de plus en plus de voix venant
des horizons les plus divers, ce qui auparavant aurait paru inimaginable.
La République devait saffirmer de nouveau comme "nation
allemande". Cest seulement ainsi que la communauté
politique de la nouvelle République Fédérale
désormais "pan allemande" acquerrait sa légitimité
politique. [
]
Quil
porte sur lunité européenne ou sur lintégration
des étrangers et de leurs traditions culturelles en Allemagne
Fédérale, lenjeu du débat est toujours
en fin de compte lalternative nation ou république,
cest-à-dire lopposition fondamentale entre la
culture collective de la nation et lindividualisme et le pluralisme
culturels dans lÉtat constitutionnel moderne, la république.
Labandon de la culture collective traditionnelle de la nation
au profit dune culture républicaine individualiste
ouvrirait la voie sur le plan idéologique à lunité
politique de lEurope et légitimerait lintégration
des étrangers et citoyens dorigine étrangère
dans notre communauté politique. [
]
1. Culture
nationale et culture républicaine
Lhistoire
des États-nations modernes est déterminée depuis
leurs origines dans la Révolution française et la
fondation de lÉtat américain par lopposition
entre le particularisme de la nation et luniversalisme de
la république, lÉtat constitutionnel démocratique.
Tous les États-nations actuels sont à la fois des
nations et des républiques, la proportion entre ces deux
composantes étant variable.
La nation se
définit par le particularisme par lequel les États
se distinguent les uns des autres, la république en revanche
se fonde sur la conscience du citoyen du monde, sur luniversalité
des droits de lhomme et du citoyen qui découle du droit
naturel de lhomme.
Les valeurs
nationales, les cultures collectives constituent la substance politique
de la nation. Les citoyens leur sont subordonnés, ils doivent
les conserver et les défendre en cas de menace. Cest
par elles que la nation légitime son existence.
Dans les communautés
politiques qui se définissent avant tout comme nations, les
traditions et valeurs culturelles étrangères nont
pas leur place légitime. La légitimité nest
accordée quaux seuls biens culturels nationaux. On
y trouve une religion ou une confession nationale, une littérature,
peinture et musique nationales, une nature, un costume et des comportements
nationaux. [
]
Dans le nationalisme
ethno-culturel, le peuple et la culture nationale constituent une
unité organique. Cest pourquoi les minorités
ethno-culturelles ne peuvent ni ne doivent être assimilées
dans la nation. Comme les minorités mettent en danger lunité
de la nation, il est légitime non seulement de les opprimer,
mais aussi de les expulser de la communauté politique par
des "purifications ethniques", voire de les exterminer. On en voit
des exemples dans le génocide de la minorité arménienne
en Anatolie, lélimination et lexpulsion des Grecs
et des Turcs après la première guerre mondiale, lextermination
des peuples "étrangers à la race" dans lHolocauste,
la persécution et lexpulsion des minorités allemandes
en Europe de lEst et du Sud, et tout récemment dans
les purifications ethniques en Bosnie-Herzégovine.
Selon la logique
interne des idéologies de la nation, les contenus et les
biens de la culture nationale ont poussé sur le terreau de
la tradition nationale, bien que cet axiome contredise tout ce que
nous savons sur lhistoire des cultures.
En réalité,
aucune culture ne sest générée spontanément.
Toutes les cultures se sont formées au cours dune longue
histoire déchanges culturels entre les peuples au-delà
des frontières. Sans cesse réinterprétées,
ces cultures ont toujours connu des changements garantissant leur
pluralité. Dans ce sens, toutes les cultures que nous connaissons
sont des formations non homogènes, multiculturelles, soumises
à la dynamique du changement. Ou bien, pour employer une
formule plus traditionnelle: toutes les cultures ont été
et sont pluralistes. [
]
À la
différence de la culture collective de la nation, la substance
politique de la république est la liberté culturelle
individuelle de ses citoyens la liberté dopinion,
philosophique et religieuse. La culture républicaine est
donc intrinsèquement pluraliste, elle ne constitue pas une
loi collective qui aurait une existence objective. Elle est ouverte
aux étrangers et à laltérité.
LÉtat
constitutionnel républicain protège la liberté
culturelle individuelle et par là la diversité et
la dynamique culturelle. Il est donc pluraliste non seulement de
facto, mais son pluralisme est fondé dans la loi et ancré
dans la constitution.
Dans lhistoire
de lÉtat constitutionnel occidental, la liberté
culturelle, religieuse et philosophique a été et est
encore la mère de la liberté politique. La naissance
de lÉtat constitutionnel moderne a été
laboutissement dune histoire séculaire de guerres
civiles et religieuses en Europe. Cest ainsi que lAmérique,
la plus ancienne démocratie occidentale, a été
fondée comme terre dasile pour les victimes de persécutions
religieuses et patrie pour les croyants de différentes confessions.
Pour protéger la liberté et la pratique religieuse
individuelle contre lingérence de lÉtat,
on a posé en principe la séparation de lEglise
et de lÉtat. Pour garantir le pluralisme culturel,
lÉtat a dû devenir une instance philosophiquement
neutre, un État séculier. [
]
La protection
de la liberté culturelle individuelle par la constitution
a eu nécessairement pour conséquence que la république
ne peut avoir ni se réclamer dune religion ou dune
culture imposée à tous les citoyens. Toute tentative
dimposer à un Allemand ou à un Américain
une religion, confession ou une culture particulière comme
devoir ou caractère national représenterait une atteinte
à lesprit et aux dispositions de leurs constitutions.
La culture de la République Fédérale dAllemagne
a toujours été un ensemble très divers formé
des valeurs culturelles de tous ses citoyens. Des formules telles
que "la" culture allemande ou américaine contredisent le
caractère pluraliste et non définissable nationalement
de la culture de lÉtat constitutionnel. Le caractère
allemand ou notre définition de la nation allemande relève
de lopinion et de linterprétation subjective.
Les valeurs et les traditions culturelles font lobjet dune
appropriation par un processus de décision individuelle sélective
qui ne revêt pas nécessairement un caractère
contraignant pour les concitoyens. [
]
La liberté
culturelle individuelle et le pluralisme culturel qui en découle
font de la culture de la République, cet amalgame complexe
des valeurs et biens culturels de ses citoyens, un processus où
les choix culturels individuels ou collectifs sont en évolution
permanente. Dans ce processus, il est légitime que des individus
ou des groupes sengagent activement pour le maintien et la
diffusion de traditions qui leur tiennent à cur. Ces
traditions ne sauraient toutefois être confondues avec la
culture de la République. Ainsi en République Fédérale,
les traditions islamiques font de plus en plus partie intégrante
de la culture allemande au fur et à mesure que le nombre
de musulmans augmente. [
]
2. Lintégration
politique des étrangers dans la république.
Comment les
républiques intègrent-elles les immigrants sans recourir
à une politique dassimilation ou de multiculturalisme
? Comment les immigrants deviennent-ils de bons patriotes ?
Comme la liberté
culturelle est accordée à tous les citoyens sans considération
de leur origine ethnique, de leur religion ou de leurs opinions,
ce nest que par le biais de lintégration politique
que les immigrants peuvent devenir patriotes.
Le cadre législatif
de lintégration politique des étrangers est
fixé dans larticle 3 § 3 de la Loi fondamentale
(Constitution allemande) : "Nul ne peut être défavorisé
ni avantagé en raison de son sexe, de son origine, de sa
race, de sa langue, de son pays dorigine, de sa foi, de ses
convictions religieuses ou politiques."
Conformément
à cette exigence posée par la constitution, lintégration
politique se fonde sur le principe quon accorde aux immigrants
tout ce qui est garanti à tous les citoyens : égalité
politique, solidarité sociale, liberté et pluralisme
culturels.
Légalité
politique suppose la naturalisation, la solidarité lintégration
sociale. Dans le cas où les immigrants sont socialement défavorisés,
la politique sociale doit être mise en uvre comme pour
tous les citoyens défavorisés. La liberté culturelle
doit de même être garantie sans restriction par rapport
aux autres citoyens.
Il découle
de lessence même des constitutions républicaines
que lintégration politique doit à moyen ou à
long terme être associée à légalité
des chances économiques et sociales. Lhistoire de limmigration
montre cependant que légalité des chances sociales
ne peut être atteinte que sur la longue durée et le
plus souvent dans la succession des générations. Mais
tout au moins la possibilité théorique doit en être
garantie.
Cest
précisément la liberté culturelle qui, comme
le montre lexemple de lAmérique, constitue la
condition préalable la plus importante de lintégration
politique. Contrairement aux représentations encore répandues
chez nous sur le "melting pot" américain, lintégration
des immigrants ne sest faite que sur le plan linguistique
et dans le cadre de la prospérité dune société
de consommation industrielle. En revanche dans le domaine qui constituait
le fondement même de leur culture, leurs traditions religieuses,
la liberté de confession leur fut garantie. Cest ainsi
que les immigrés catholiques, luthériens, juifs, musulmans
ainsi que les membres dautres confessions ont pu conserver
leur foi, la pratiquer sous diverses formes associatives et lintégrer
dans la culture de la république américaine. Malgré
la diversité de leurs origines et de leurs cultures, tous
ont pu devenir des citoyens américains. Et cest précisément
pour cela quils sont devenus de bons patriotes américains.
[
]
3. Comment
fonder une communauté politique en Allemagne : le patriotisme
républicain ou patriotisme constitutionnel
Quest-ce
qui en république crée lunité politique
dans et malgré la diversité culturelle ? Pour les
citoyens dune république, seule la constitution et
les normes et institutions quelle crée simposent
à tous. Cest pourquoi seule la constitution peut fournir
le point de cristallisation et le cadre de lintégration
politique, fondant ainsi la communauté et lunité
politique. Le patriotisme républicain ne peut donc quêtre
politique, cest le patriotisme constitutionnel qui trouve
son contenu ainsi que son fondement dans lordre républicain
et ses normes.
Le patriotisme
républicain est réalisé quand les institutions,
les règles de procédure et les valeurs républicaines,
en particulier les libertés individuelles, lÉtat
de droit et la solidarité sociale constituent les pôles
et lhorizon de lintégration politique. Patriotisme
républicain et patriotisme constitutionnel sont des concepts
interchangeables.
La république
est toujours à la fois un programme et une tâche. Elle
senracine ou saffaiblit au rythme des succès
ou échecs quelle rencontre dans la concrétisation
des institutions et valeurs qui en sont constitutives. La république
est jugée à laune de son action. Si elle enfreint
ses propres normes et que ses institutions deviennent caduques,
elle perd sa légitimité.
En règle
générale, les républiques naissent dune
volonté consciente en rupture avec lhistoire du pays.
En tant que communautés volontaires et contractuelles ("union"
ou "covenant"), elles sont plus que tout autre régime soumises
à lassentiment de leurs citoyens, au patriotisme. [
]
La république
de Bonn avait été conçue comme un régime
provisoire jusquau jour où la nation allemande serait
réunifiée. Comme la plupart de leurs contemporains
en Allemagne et en Europe, les pères de la constitution étaient
marqués par lidéologie traditionnelle de la
nation. Larticle 116 de la Loi fondamentale sur laccueil
des personnes déplacées et des Allemands de souche
vivant hors du territoire allemand faisait delle la patrie
des Allemands.
Comme la partition
des deux Allemagnes se prolongeait, la majorité des Allemands
avait cessé de croire à la possibilité dune
réunification. Dès lors, la République de Bonn
ne tirait plus sa légitimité que de la constitution.
Cest dans le contexte de cette constellation historique que
le politologue Dolf Sternberger a créé le concept
de patriotisme constitutionnel.
Les deux guerres
mondiales et leur cortège dhorreurs avaient eu raison
du nationalisme allemand et de son pouvoir destructeur. La croyance
en une nation allemande supérieure à toutes les autres
nations et leur servant dexemple, qui formait la base de tous
les nationalismes sétait émoussée, et
les derniers vestiges dune conscience identitaire nationale
furent balayés par la révélation des atrocités
commises par les Allemands sous Hitler.
Bien que la
nation allemande fût idéologiquement déconsidérée,
les citoyens sattachèrent à la nouvelle république.
Tout dabord, on reconnut ses succès économiques.
Peu à peu, on se mit à accepter ses institutions politiques
et ses valeurs. De nombreuses enquêtes montrent ce processus.
Interrogés sur ce qui justifiait dêtre fier dêtre
allemand, seuls 7 % des Allemands citaient en 1957 les institutions
et les valeurs politiques ; ils étaient déjà
31 % en 1978 et 50 % en 1992. Cette tendance sest maintenue
dans les années suivantes. Lors denquêtes mesurant
la valeur affective de la constitution, de léconomie,
de la science et des arts, cest la constitution qui arriva
en tête en 1994 avec 53 % devant léconomie (47
%) et la science (35 %). Les modèles didentification
classiques nationaux et apolitiques comme "la culture allemande"
(22 %), le sport (18 %), ou "la beauté des paysages allemands"
(14 %) avaient de nouveau perdu de leur importance. Malgré
cette évolution incontestablement profonde de la culture
politique des anciens Länder, il existe encore un important
déficit du républicanisme en comparaison avec les
autres démocraties occidentales. Interrogés sur ce
qui justifie dêtre fier de leur pays, les Américains
répondent depuis toujours de façon constante "les
institutions politiques" avec 85 % (53 % dernièrement en
RFA). Les valeurs apolitiques telles que les performances économiques
(23 %), la culture nationale (7 %), lart et la science (4
%), la beauté du paysage (5 %) occupent une place bien moins
importante que dans les anciens Länder. Les résultats
de lenquête dans les nouveaux Länder sont sensiblement
identiques à ceux de lAllemagne Fédérale
dans les deux premières décennies de laprès-guerre.
Léconomie, la science et la culture sont largement
en tête devant les institutions et valeurs politiques. Ces
données indiquent non seulement la persistance dune
partition politique mentale, mais aussi le travail qui reste à
accomplir pour poursuivre le développement de la culture
politique républicaine en Allemagne. [
]
Limmigration
de 7 millions détrangers a eu une influence décisive
sur la pluralité culturelle de lAllemagne Fédérale.
Dans les grandes agglomérations comme Stuttgart ou Munich,
ils représentent aujourdhui plus de 30 % des habitants,
et leurs enfants sont majoritaires dans certaines écoles.
Fait remarquable et généralement ignoré, la
naturalisation des étrangers a elle aussi fortement augmenté.
Alors que le nombre des naturalisations stagnait de 20 000 à
30 000 par an dans les années 80, il est passé à
80 000 par an entre 1990 et 1996. Si on inclut limmigration
des Allemands de souche issus des anciens pays de lEst, ce
sont presque 1,2 million détrangers qui sont devenus
allemands dans la période de 1990 à 1995.
En comparant
ces chiffres au nombre détrangers qui vivent en République
Fédérale, on saperçoit toutefois que
lAllemagne reste marquée par lidéologie
de lhomogénéité ethnique et culturelle
de la nation. Selon larticle 116 de la Loi Fondamentale, les
Allemands de souche dont les ancêtres ont quitté il
y a plusieurs siècles le territoire germanophone possèdent
de droit la nationalité allemande, bien que dans la plupart
des cas ils ne parlent plus allemand et aient du mal à sintégrer
dans la société allemande actuelle. En revanche les
étrangers qui ont grandi et ont été scolarisés
en Allemagne, qui parlent parfois mieux allemand que les Allemands
de souche issus des pays de lEst et sont des citoyens respectueux
des lois ont encore de nombreux obstacles à franchir pour
acquérir la nationalité allemande. Larticle
116 de la Loi Fondamentale adopté lors de sa promulgation
uniquement pour permettre lintégration politique du
flot de personnes déplacées et des Allemands de souche
vivant hors du territoire allemand a introduit a posteriori un élément
ethnique dans la jurisprudence et le régime de lAllemagne
Fédérale.
Cest
ainsi que la jurisprudence des tribunaux administratifs a jeté
les bases inquiétantes dune définition ethno-culturelle
des Allemands. Dans les arrêts de naturalisation dAllemands
de souche nés hors du territoire allemand, il est exigé
des requérants de "reconnaître leur germanité",
le "peuple allemand" étant lui-même défini comme
une "communauté culturelle nationale". On demande donc une
reconnaissance dune "culture allemande" et une acceptation
des valeurs culturelles "allemandes" (Goethe ou le journal "Bild
Zeitung" ?), quon ne pourrait ni ne serait autorisé
à exiger des ressortissants allemands, et ce dautant
moins quune vérification objective des valeurs culturelles
des citoyens dAllemagne Fédérale produirait
à coup sûr des résultats pour le moins décevants.
Les résistances
politiques contre une libéralisation de la naturalisation
des étrangers et la montée de la xénophobie
sont alimentées en premier lieu par la raréfaction
des emplois et la concurrence qui en résulte sur le marché
du travail. Ce phénomène se produit aussi dans les
pays dimmigration traditionnels tels que les États-Unis
où lors des crises économiques, quand le travail se
faisait rare, on assistait régulièrement à
des explosions de xénophobie généralement suivie
de restrictions apportées à limmigration par
le législateur.
Dans la crise
économique que traverse actuellement lAllemagne Fédérale,
cest moins la question de la poursuite ou non de limmigration
qui est au cur du débat que lintégration
politique et sociale des étrangers qui vivent déjà
en Allemagne. Cette intégration politique et sociale aurait
des conséquences fondamentales pour lidentité
politique de la République allemande. Elle symboliserait
lappropriation définitive de lidée républicaine
et labandon de la conception ethno-culturelle de la nation.
Elle serait le test décisif de lappropriation dune
conception républicaine de lÉtat et de la culture.
[
]
4. Le conflit
sur lappropriation de lidée républicaine
[Dans le sillage
de la réunification allemande], beaucoup ont estimé
que le patriotisme constitutionnel était une abstraction
intellectuelle. Selon eux, seules lhistoire et la culture
nationale seraient en mesure de susciter et mobiliser des liens
affectifs capables de fonder une communauté politique et
un patriotisme actif. [
]
La critique
allemande du patriotisme constitutionnel est encore déterminée
par de vagues représentations dune nation allemande
définissable par sa culture ou même par lorigine
de ses citoyens qui aurait une existence prétendument objective
à côté de la constitution et de ses valeurs
et constituerait le véritable fondement de la communauté
politique et de la loyauté civique. Laffirmation aventureuse
qui en découle selon laquelle les valeurs fondamentales de
la république, cest-à-dire le droit et la liberté,
sont trop abstraites pour permettre une identification à
la communauté fournit la preuve que ces valeurs ne représentent
pas grand-chose aux yeux des détracteurs. Au contraire, ce
manque didentification avec les valeurs politiques républicaines
exprime précisément la persistance tenace des traditions
provinciales anti-républicaines de la culture politique allemande.
[
]
Dans les républiques
française et américaine, le patriotisme se fonde sur
le mythe de la liberté et lhistoire du combat pour
la liberté politique et les droits civiques. Les fêtes
nationales en rappellent la signification. Les Allemands en revanche
fêtent le jour de lunité nationale. La trinité
solennelle de lhymne national allemand "Unité, droit
et liberté sont le gage du bonheur" a été mutilée
en un "jour de lunité" et dépouillée
de sa signification. Lunion sans unité de la fraternité
et de la solidarité, lunion sans le droit et la liberté
est une notion vide de sens. Une telle union na pas de contenu
politique, sauf à se référer à la croyance
mystique du nationalisme ethnique en lentité transhistorique
éternelle que constituerait le peuple "allemand" à
présent réunifié après avoir été
séparé en violation du droit de tous les peuples à
exister au sein dun État. Un État allemand uni
aurait été envisageable sous les auspices dun
régime communiste. Ne fêter que le "jour de lunité"
revient à falsifier le véritable conflit constitutionnel
pour lÉtat de droit et la liberté politique
et culturelle.
Les républiques
se fondent et se développent par leurs actes. Elles se légitiment
en faisant leurs preuves au cours de lhistoire. Cest
leur patine qui leur confère prestige et dignité.
Les deux États allemands qui demeurent aujourdhui encore
séparés par leurs différentes expériences
historiques ne formeront un véritable État unitaire
républicain que lorsque les valeurs républicaines
se concrétiseront, en particulier la justice sociale. En
république, unité ne signifie pas homogénéité,
mais acceptation de la diversité régionale et culturelle.
[
]
LÉtat
constitutionnel créé dans lancienne République
Fédérale doit être développé et
son fondement républicain élargi. Pour cela, louverture
de la République à lintérieur comme vers
lextérieur sera décisive. Elle ne méritera
son nom que lorsque les étrangers et les cultures étrangères
seront accueillis et naturalisés.
La crise idéologique
des États-Nations européens ne peut plus être
ignorée. Les nations européennes se sont consolidées
par des processus de polarisation réciproque, de définition
dun adversaire et disolement. Avec leur démantèlement
dans le processus dunification européenne, leur puissance
dintégration perd son efficacité. Cest
pourquoi dans la plupart des États européens on assiste
aujourdhui à la réapparition sur la scène
politique danciennes traditions régionales, entre autres
en République Fédérale.
Il serait tragique
que l"ancienne" République Fédérale que
la partition a empêchée de devenir une république
"allemande" et qui est de ce fait devenu un État constitutionnel
soit rattrapée par une pâle réédition
de traditions nationales dépassées et soit réduite
au rang dépisode de lhistoire alors même
que les États-Nations dEurope occidentale commencent
à se dissoudre. La République Fédérale
ne doit pas régresser au stade de nation du XIXe siècle.
Elle doit souvrir à une Europe républicaine.
Les républiques peuvent être fondées par un
acte volontariste, leur histoire le prouve. Lhistoire nest
pas nécessairement une fatalité ni une culture de
la tradition, lhistoire peut être faite par les hommes.
Traduction
Forum (PE)
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