(*) Prêtre, Professeur honoraire à l'Université catholique d'Angers,
Officier de la Légion d'Honneur - Né le 2 mars 1920 à Craon (Mayenne),
ordonné prêtre le 19 septembre 1942 - Entré au Mouvement Libé-Nord
début juillet 1943, arrêté par la Gestapo le 17 janvier 1944, déporté
aux camps de concentration de Mauthausen et de Dachau, libéré le
29 Avril 1945 - Docteur ès-Lettres le 26 Mai 1956 - Stipendié par
le C.N.R.S. pour la préparation de ses thèses et son édition des
Oeuvres de Christian Wolff (Octobre 1950-Mars 1985) - A enseigné
la philosophie au Collège du Sacré-Coeur de Mayenne (Octobre 1945-Juillet
1955), avant d'être nommé Maître de conférences, puis Professeur
de métaphysique à l'Université catholique d'Angers (Novembre 1955-Juin
1978).
La première image que j'ai reçue de l'Allemagne, c'est celle d'un
pays ennemi de la France. Mon père avait été prisonnier trois ans
pendant la grande guerre. Mon grand-père maternel avait fait celle
de 1870 et gardait une haine viscérale de ceux qu'il appelait les
Prussiens.
Mais mes études secondaires me firent découvrir et aimer la littérature
et, d'une façon générale, la culture allemande. L'atmosphère mystérieuse
et féerique des contes et légendes germaniques m'enchantait.
D'autant plus grandes furent ma déception et mon amertume, lorsque
éclata la guerre entre la France et l'Allemagne et surtout lorsque
les armées de celle-ci nous envahirent et me firent prisonnier en
juin 1940. Leur pays redevenait pour moi le pays ennemi dont me
parlait mon grand-père. Et je me promis aussitôt de lutter pour
la libération de notre patrie, en commençant par m'évader vers la
zone libre. Mais je ne pus prendre part à la résistance qu'une fois
terminées mes années de grand séminaire.
Mon action au mouvement Libé-Nord m'a valut d'être arrêté et envoyé
en camp de concentration. Je découvris alors la profonde emprise
de l'idéologie nazie sur le peuple allemand car ce ne sont pas seulement
les sbires de la Gestapo et les SS qui nous ont torturé, mais aussi
les soldats de la Wehrmacht et de la Luftwaffe qui assuraient la
garde des Kommando, ainsi que les civils qui dirigeaient le travail
et les chantiers.
Aussi suis-je revenu de cet enfer avec un profond ressentiment envers
tous les Allemands, et c'est avec force que j'ai rejeté l'idée d'un
rapprochement franco-allemand, lorsqu'elle a fait sa première apparition.
Ce n'est qu'après avoir fait la connaissance d'allemands ayant aussi
soufferts du nazisme et redécouvert, grâce à eux, une autre Allemagne
que celle de nos bourreaux, que j'ai suivi le Général de Gaulle
quand il s'est engagé dans cette voie avec le Chancelier Adenauer.
Se rapprocher, apprendre à vivre ensemble, oui; mais sans oublier,
et sans cesser de rappeler aux jeunes générations la barbarie incroyable
de l'Allemagne nazie, afin de l'exorciser en quelque sorte.
Ce rapprochement était nécessaire, d'abord pour que les Français
et les Allemands ne se fassent plus la guerre tous les vingt ans,
ensuite parce que c'était la condition sine qua non pour réaliser
l'union européenne dont l'idée commençait aussi à se faire jour.
Etait également nécessaire à cette fin la réunification des deux
parties de l'Allemagne dont aucune raison valable ne justifiait
la séparation, et parce qu'il fallait cette réunification pour achever
de faire tomber le rideau de fer qui était un obstacle à cette union.
Car il n'y a d'union possible et viable qu'entre des nations libres
et souveraines.
L'Europe donc, oui; mais pas n'importe laquelle. Il faut qu'elle
soit un espace de réflexion et de liberté, comme elle l'était au
Moyen Age et au XVIIIe siècle.
Or que nous propose-t-on aujourd'hui? Une Europe où toute souveraineté
nationale disparaîtra, où le pouvoir réel appartiendra à des technocrates
irresponsables parce que non élus et aux magnats de la grande finance,
par conséquent une Europe antidémocratique et qui, plus est, tristement
uniformisée par la suppression des particularités qui font de chacun
des peuples qui la composent des réalités différentes, concrètes
et vivantes.
Il faut certes travailler à la constitution de l'union politique,
économique, diplomatique, militaire, etc… Mais ces peuples ont une
histoire, une culture, des façons de vivre, de penser, de sentir
fort différentes de l'un à l'autre, et n'en pas tenir compte, c'est
condamner à l'échec les tentatives pour parvenir à cette union.
Ni en France, ni en Allemagne et pas plus dans les autres pays,
on est prêt à accepter de faire partie d'une entité abstraite où
les individualités nationales seront broyées.
Ce serait aller contre la nature des choses et à contre-courant
de l'histoire, car il existe une Europe qui est le contraire d'une
telle entité, à savoir l'Europe de l'esprit, qui s'est constituée
peu à peu au cours des siècles, naturellement et pas à coups de
traités. Elle est faite de l'ensemble des manifestations de la culture
si richement diversifiées d'un pays européen à l'autre : philosophie,
sciences, théologie, littérature, arts, politique, économie, etc…,
et constitue un modèle qu'on aurait intérêt à méditer. Mais tout
se passe comme si on avait oublié son existence.
Et c'est pour rappeler qu'avec mon adjoint luxembourgeois Robert
Theis, j'ai lancé, chez mon éditeur allemand Georg Olms, une nouvelle
collection d'ouvrages, pluridisciplinaire, Europaea Memoria, entièrement
consacrée à l'histoire de toutes ces manifestations, dans laquelle
chaque auteur peut utiliser une des cinq grandes langues européennes
les plus connues : le français, l'allemand, l'anglais, l'italien,
l'espagnol, et dont la direction est assistée d'un comité scientifique
de trente membres choisis parmi les meilleurs spécialistes dans
onze pays d'Europe.
Puisse Europaea Memoria aider à mieux connaître l'Europe
de l'esprit et, ce faisant, apporter sa contribution à la construction
de l'Union Européenne.
Bibliographie
Ouvrages
- "Nouvelles études et nouveaux documents photographiques sur
Christian Wolff" - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag,
1997.
- "Louis Lavelle et le renouveau de la métaphysique de l'être
au XXème siècle" - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag,
1997.
- "Métaphysique de l'être, doctrine de la connaissance et philosophie
de la religion chez Louis Lavelle" - Genova, Biblioteca di Filosofia
Oggi, 1994.
- "La métaphysique de Christian Wolff", 2 vol. - Hiddesheim,
New York, Georg OLMS Verlag, 1990.
- "Introduction à l'Opus metaphysicum de Christian Wolff"
- Paris, Vrin, 1985, Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag.
- "Index auctorum ad quos Wolffius remittit" - Hiddesheim,
New York, Georg OLMS Verlag, 1985.
- "La métaphysique de l'être dans la philosophie de Maurice Blondel"
- Louvain, Editions Nauwelaerts, 1959.
- "La métaphysique de l'être dans la philosophie de Louis Lavelle"
- Louvain, Editions Nauwelaerts, 1957.
Editions
- Neuf traités latins de métaphysique et de logique de Christian
Wolff - Hildesheim, New York, Georg Olms Verlag, 1962-1983.
- "De l'existence, Manuscrit de Limoges de Louis Lavelle"
- Genova, Studio editoriale di cultura, 1984.
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